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partie administrative. Léon Faucher aimait l’administration, et il y était propre ; les hauts employés du ministère vantaient en lui la promptitude de la décision, une application infatigable au travail, une attention soutenue et une étude approfondie des détails. Il présenta et fit passer le grand projet de loi dont nous voyons se poursuivre l’exécution, et qui consacrait 50 millions à l’ouverture de la nouvelle rue de Rivoli et à l’achèvement des halles centrales. Au moment où il venait de poser la première pierre des halles ; le président de la république lui donna publiquement la croix de commandeur de la légion d’honneur, distinction extraordinaire qui le surprit lui-même, tant il l’avait peu sollicitée ; après avoir été deux fois ministre, il n’avait seulement pas encore la croix de chevalier.

Il avait toujours eu un goût très vif pour les arts, et il leur donna, comme ministre, de puissans encouragemens ; les découvertes de Ninive, celles de Rome souterraine, trouvèrent en lui un protecteur éclairé, qui obtint pour elles de l’assemblée législative des crédits considérables. Il créa, pour réconcilier avec la morale la littérature dramatique, une série de prix dont on peut contester l’efficacité, mais dont on ne peut que respecter la pensée. Ces soins le consolaient des ennuis dont l’accablaient les difficultés de la situation politique.

Quand la rupture qu’il avait voulu empêcher fut tout à fait déclarée, le président le nomma, le jour même du coup d’état, membre de la commission consultative qu’il venait d’instituer ; il refusa. Il aurait pu sans nul doute, s’il avait voulu adhérer à l’acte du 2 décembre, occuper les positions les plus élevées auprès du prince qu’il avait déjà servi, mais il était trop fortement attaché aux principes parlementaires. Un jour, pendant son second ministère, l’incurable défiance des partis animés, qui ne se contentent pas de juger les actes, mais qui veulent toujours incriminer les intentions, l’avait accusé de travailler sourdement à la destruction de la liberté politique. — Je ne suis rien, avait-il répondu, que par la presse et par la parole, et si jamais cette tribune doit être renversée, je resterai enseveli sous ses débris. Il n’a que trop littéralement tenu parole ; il ne savait rien faire, rien sentir modérément, et il portait en toute chose l’impétuosité de son caractère.

Dès ce moment, ce noir chagrin qui s’empare souvent des esprits ardens réduits à l’inaction, et qui a déjà dévoré parmi nous tant d’hommes déçus dans leurs croyances, se saisit de lui pour ne le plus quitter. Terrible effet de nos innombrables révolutions ! l’opinion nationale, cette mer si violemment agitée, tantôt élève jusqu’aux nues ses favoris d’un jour, tantôt les précipite et les abandonne. Que de tristes victimes de ces brusques reviremens ! que d’existences un moment soulevées par le flot perfide pour échouer rudement sur un écueil ! Léon Faucher avait eu le seul sentiment qui puisse soutenir les combattans engagés sur cette mouvante arène, la foi en lui-même et dans sa cause ; la ruine de ses espérances le frappa au cœur. Il crut d’abord trouver un aliment pour son activité dans l’établissement de la société de crédit foncier, cette institution si neuve et si utile, qui n’a eu d’autre tort que d’exciter à son début de trop grandes espérances, et qui a déjà rendu, qui doit rendre surtout avec le temps de précieux services à la propriété française. Il s’y attacha tout entier, avec cet intérêt obstiné qu’il mettait à