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BIOGRAPHIE.
M. LEON FAUCHER.

Une belle intelligence, unie à un grand cœur, vient de s’éteindre. M. Léon Faucher, ancien ministre de l’intérieur, membre de l’Institut, vient de mourir. La Revue perd en lui un collaborateur éminent, l’Académie des sciences morales et politiques un de ses membres les plus laborieux et les plus jeunes, la France un de ses plus nobles enfans.

Né à Limoges le 8 septembre 1803, il avait à peine cinquante et un ans. Venu tout enfant à Toulouse, il a été élevé au collège de cette ville. C’est là que je l’ai connu. Plus jeune que lui de quelques années, je commençais mes études classiques au moment où il finissait les siennes ; mais cette différence s’est bientôt effacée, et nous nous sommes liés d’une de ces amitiés de jeunesse que rien ne peut altérer ni remplacer. Né sans aucune fortune, mais avec le goût des études sérieuses, il avait eu d’abord, comme presque tous les hommes illustres de notre temps, la pensée de se vouer à renseignement ; il vint à Paris dans cette intention, et y débuta comme précepteur des enfans de M. Dailly, maître de poste. Cette excellente famille ne tarda pas à l’apprécier et à l’adopter en quelque sorte ; les deux jeunes gens dont il a dirigé l’éducation ont toujours conservé pour lui les plus tendres sentimens d’affection et de respect, et dans la foule choisie qui a suivi ses obsèques, ils n’étaient pas les moins affligés, témoignage également honorable pour tous trois.

M. Léon Faucher avait d’abord montré une prédilection décidée pour les études philosophiques, mais il trouva une extrême difficulté à entrer dans l’Université comme professeur. Il se tourna alors vers la presse périodique, et commençait à peine à y pénétrer quand éclata la révolution de 1830. Je me souviens encore de la lettre enthousiaste qu’il m’écrivit au milieu du combat, mais il était trop jeune et trop inconnu pour que son nom figurât parmi les vainqueurs. Quand le nouveau gouvernement se constitua, il vit des journalistes, des écrivains, passer subitement aux premiers emplois de l’administration, de la magistrature et même du gouvernement. Plusieurs ont justifié cette faveur de la fortune par des talens exceptionnels ; mais beaucoup n’avaient sur lui d’autre avantage que d’être nés quelques années plus tôt, ce qui leur avait donné le temps de prendre rang. Il avait manqué son moment, et n’a retrouvé sa place que dix-huit ans après, quand une nouvelle révolution est venue balayer cette génération qu’il avait vue passer tout entière devant lui.

Tout ce qu’il dut à la révolution qui venait de satisfaire autour de lui tant d’ambitions fut d’entrer comme rédacteur au journal le Temps, pour remplir un des vides que ces promotions inespérées venaient de faire dans la presse. Il s’y distingua de bonne heure par la fermeté de son style et de sa pensée ; mais le moment des grands succès était passé. Rien de pareil aux dernières années de la restauration, à cette époque fiévreuse où quelques journalistes soulevaient à leur gré les masses populaires, ne devait plus se