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niquées telles que nous les indiquons. Seulement, après une prétendue acceptation des quatre garanties à la veille du traité du 2 décembre, le prince Gortchakof parait s’être trouvé tout à coup dépourvu des pouvoirs nécessaires pour examiner la signification de ces garanties. Il aurait décliné toute négociation comme dépassant ses moyens, et il en aurait référé à Saint-Pétersbourg. Il ne reste plus donc que peu de temps aujourd’hui, si la Russie n’accepte pas les propositions qui lui sont faites, pour que le traité du 2 décembre produise toutes ses conséquences, et alors, on n’en peut douter, le jeune empereur François-Joseph et son ministre, M. de Buol, ne s’arrêteront pas dans la voie où ils sont entrés avec une calme et mûre résolution.

Mais la Prusse suivra-t-elle. L’Autriche, et, à vrai dire, quelle est la politique de la Prusse après le traité récemment conclu à Vienne ? Le cabinet de Berlin s’est rattaché plus que jamais à l’acceptation fort illusoire des quatre garanties par la Russie. Il s’est hâté de recommander le fait à la considération des cours de Londres et de Paris en leur faisant sentir le prix de cette adhésion sans réserve et sans détour du gouvernement russe à un principe commun de négociation. On ne demandait pas précisément l’adoption d’une base de négociation ; d’ailleurs le cabinet de Berlin était-il en position de dire quel sens la Russie attachait aux quatre garanties et quel sens il y attachait lui-même ? Il oubliait ainsi sans contredit le plus essentiel. Le traité du 2 décembre, par lui-même au surplus, ne laisse point d’avoir jeté la Prusse dans des perplexités singulières. Ce n’est point que la Prusse trouve rien d’exorbitant dans l’acte signé par les trois puissances : bien au contraire, elle adhère aux principes qu’il consacre, elle les admire, elle leur prodigue ses sympathies ; mais elle ne saurait rien faire pour eux. Après tout, n’est-ce point l’affaire de l’Autriche encore plus que celle de la Prusse ? Tel est l’empire d’une situation fausse, que la Prusse, en présence du traité du 2 décembre, n’a trouvé d’autre moyen qu’un expédient déjà plusieurs fois renouvelé, celui d’une mission extraordinaire à Londres, à Paris et à Vienne. M. d’Usedom a été envoyé en Angleterre, d’où il devait, dit-on, se rendre en France. Le colonel de Manteuffel a été envoyé près de l’empereur d’Autriche. Quel était le but de ces pérégrinations diplomatiques ? Le gouvernement prussien ne pouvait évidemment avoir la prétention de conclure une alliance séparée avec les deux puissances de l’Occident sur d’autres bases que celles qui ont été établies à Vienne. S’il en a eu la pensée, il a dû être promptement détrompé. Dans le fond, il n’est point impossible que les envoyés du roi de Prusse n’aient eu simplement pour devoir d’observer, d’examiner l’état des choses.

Telle qu’elle est, cette mission n’a donc point eu le caractère et l’importance qu’on a pu lui attribuer ; mais elle offre certainement des particularités singulières, très propres à donner une idée des perplexités et de l’indécision de la politique prussienne. Qu’on le remarque en effet : l’envoyé du roi Frédéric-Guillaume à Londres, M. d’Usedom, est un homme d’un esprit éclairé et libéral, inclinant vers les puissances occidentales ; le colonel de Manteuffel au contraire est connu pour ses sympathies en faveur de la Russie, il appartient au parti de la croix. Chose plus étrange encore et de nature à inspirer quelques réflexions au président du conseil, M. de Manteuffel ! le libéral et le russe, en acceptant leur mission, ont décliné toute communication avec