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Que peut signifier cette date en effet, si ce n’est que pour l’Autriche elle-même il y a une limite nécessaire et prochaine aux négociations infructueuses ? Ce n’est point au reste de telle ou telle stipulation que ressort l’importance du traité de décembre ; cette importance ressort de l’acte dans son ensemble, des conjonctures dans lesquelles il a été signé, de la situation particulière de l’Autriche, de l’état général de l’Europe. Qu’on envisage sous ces divers aspects le traité de Vienne, on en saisira la gravité. Diplomatiquement, il met fin à tout un système d’alliances en dégageant l’Autriche de toute solidarité avec la Russie ; politiquement aujourd’hui, il écarte le danger le plus sérieux peut-être, celui d’une intervention des élémens révolutionnaires. Jusqu’ici, l’Europe est parvenue à soutenir l’épreuve d’une lutte gigantesque sans laisser l’esprit de révolution s’introduire dans ses conseils ou dans ses actes. La guerre actuelle est restée une guerre essentiellement politique, ayant un but politique déterminé, et soutenue par la force régulière des années. On ne saurait méconnaître que l’altitude générale de l’Autriche depuis l’origine de la question n’ait singulièrement contribué à écarter les tentations ou les occasions qui pouvaient s’offrir de dénaturer cette lutte. C’est cette situation que le traité récent est venu confirmer et assurer, et en vérité M. Mazzini a choisi l’heure opportune pour chercher à souffler la révolution en Italie, pour remettre les armes dans les mains de ses séides ! Que peut donc offrir M. Mazzini à la malheureuse Italie ? Il lui offre le sort de la Grèce, comme il le dit lui-même dans son manifeste émané du comité national d’action. Il envoie à une mort inutile quelques victimes de plus qui n’auront pas même cette fois le mérite de se dévouer à une tentative généreuse. M. Mazzini est tout simplement l’auxiliaire de la Russie, et c’est contre cette alliance étrange que l’alliance du 2 décembre est un rempart efficace.

Le traité de Vienne a une autre valeur dans la question qui s’agite ; il résume d’une manière saisissante le chemin que l’Europe a fait depuis un an. Quand on dit que la guerre a été jusqu’ici sans résultat, qu’elle n’a eu d’autre effet que d’immoler des hommes, que la question n’a pas fait un pas depuis qu’elle est engagée, on peut apprécier ici ce qui en est. Il y a un an, on eût trouvé certes fort extraordinaires et presque fabuleuses les conditions du 8 août ; aujourd’hui ces conditions sont le minimum de la paix poursuivie en commun par les trois puissances signataires du traité du 2 décembre. Non-seulement l’Autriche, l’Angleterre et la France ont adopté les termes des propositions du 8 août, elles ont dû nécessairement s’entendre encore sur le vrai sens de ces propositions ; elles sont d’accord dans l’interprétation des garanties revendiquées. Pour l’Autriche comme pour l’Angleterre et la France, les traités anciens entre la Russie et la Turquie n’existent plus. Il ne doit plus rien rester du protectorat russe en Orient, pas plus dans les principautés qu’en ce qui touche les chrétiens du rit grec. La liberté du Danube doit être assurée. La prépotence de la Russie dans la Mer-Noire ne saurait plus être compatible avec l’équilibre de l’Europe. La diplomatie russe n’en est point sans doute à ignorer cette communauté de vues des trois puissances qui ont contracté l’alliance du 2 décembre. L’envoyé du tsar à Vienne, le prince Gortchakof, a pu s’en assurer dans une récente conférence provoquée par lui, et où les conditions de la paix lui ont été indubitablement commu-