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passé alors il nous reste l’exemple à jamais mémorable de l’impuissance du génie et de la sainteté à l’encontre de la corruption qu’engendre le despotisme.

Le vieux monde était donc à l’agonie. L’empire s’effondrait lentement dans la honte et le mépris, atteint de cette triste faiblesse qui n’inspire pas même la pitié. Tout se précipitait dans une incurable décadence. Tels étaient les résultats de l’empire romain deux siècles après qu’il fut devenu chrétien. Dans l’ordre spirituel, il s’acheminait au schisme qui, sous les césars de Byzance, devait arracher à l’unité et à la vérité plus de la moitié du monde converti par les apôtres. Dans l’ordre temporel, il aboutissait à ce misérable régime du Bas-Empire, le seul dont il suffit de prononcer le nom pour en faire une injure.

Pour que l’église pût sauver la société, il fallait dans la société un nouvel élément et dans l’église une force nouvelle. Il fallait deux invasions : celle des Barbares au nord, celle des moines au midi.

Ils paraissent : les Barbares d’abord. Les voilà aux prises avec ces Romains énervés par la servitude, avec ces empereurs impuissans au sein de leur omnipotence. D’abord victimes obscures et prisonniers dédaignés des premiers césars, puis auxiliaires tour à tour recherchés et redoutés, puis adversaires irrésistibles, enfin vainqueurs et maîtres de l’empire humilié, ils arrivent, non comme un torrent qui passe, mais comme une marée qui avance, recule, revient et demeure maîtresse du sol envahi. Eux aussi avancent, se retirent, reviennent, restent et triomphent. Ceux qui auraient envie de s’arrêter et de s’entendre avec les Romains effrayés sont à leur tour poussés, dépassés, surmontés par le flot qui les suit. Les voici ! Ils descendent la vallée du Danube qui les met sur le chemin de Byzance et de l’Asie-Mineure. Ils remontent ses affluens et arrivent ainsi aux sommets des Alpes, d’où ils fondent sur l’Italie. Ils traversent le Rhin, franchissent les Vosges, les Cévennes, les Pyrénées, inondent la Gaule et l’Espagne. Le n’est pas un seul peuple, comme le peuple romain, ce sont cent races diverses et indépendantes. Ce n’est pas l’armée d’un conquérant, comme Alexandre et César, ce sont cent rois inconnus, mais intrépides, ayant des soldats et non des sujets, comptables de leur autorité devant leurs prêtres et leurs guerriers, et obligés de se faire pardonner leur pouvoir à force de persévérance et d’audace. Ils obéissent tous à un irrésistible instinct, et ils portent dans leurs flancs les destinées et les institutions de la chrétienté future.

Instrumens visibles de la justice divine, ils viennent à leur insu venger les peuples opprimés et les martyrs égorgés. Ils détruiront, mais ce sera pour remplacer ce qu’ils auront détruit, et d’ailleurs ils