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n’eût apaisé le courroux impérial ! L’horreur d’un pareil régime, s’il eût duré, eût à jamais souillé le christianisme, dont il affectait de se parer. Et d’ailleurs pour un Théodose que de Valens, que d’Honorius, et que de Copronymes ! L’effroyable tentation de l’omnipotence tournait toutes ces pauvres têtes. Les princes chrétiens n’y résistaient pas plus que les païens. À des monstres de cruauté et de luxure, tels que les Héliogabale et les Maximien, succédaient des prodiges d’imbécillité et d’inconséquence.

Ce qu’il dut y avoir de plus amer pour l’église, c’était la prétention qu’avaient ces tristes maîtres du monde de faire d’elle leur obligée. Il lui fallait payer bien cher la rançon de l’appui matériel que lui prodiguait cette puissance impériale, qui la protégeait sans l’honorer, sans même la comprendre. Chaque décret rendu pour favoriser le christianisme, pour fermer les temples, pour interdire les sacrifices de l’ancien culte, pour consumer ou extirper les derniers restes du paganisme, était accompagné ou suivi de quelque acte destiné à trancher des questions de dogme, de discipline, de gouvernement ecclésiastique. Une loi de Théodose II prononçait en 428 la peine des travaux forcés dans les mines contre les hérétiques, et il était lui-même eutychien. Ainsi l’hérésie, se croyant assez orthodoxe pour proscrire tout ce qui ne pensait pas comme elle, montait sur le trône, où l’attendait l’omnipotence. Le même empereur et son collègue Valentinien III décrétèrent la peine de mort contre l’idolâtrie ; mais l’idolâtrie régnait dans leur propre cœur et tout autour d’eux. Tout le cérémonial de leur cour, tous les actes de leur gouvernement sont imprégnés de la tradition du prince-dieu[1]. Les plus pieux, le grand Théodose lui-même, parlent sans cesse de leurs sacrés palais, de leur maison divine. Ils permettent à tel fonctionnaire de venir adorer leur éternité. Ce même Valentinien qui punissait de mort les idolâtres essaya un jour d’appeler aux armes les Romains contre une invasion de Vandales, et fit déclarer que sa proclamation était signée de la main divine, voulant parler de la sienne[2].

Ainsi la divinité du prince, cette invention des césars qui avait mis le sceau à la dégradation de Rome et placé la servitude sous la sanction de l’idolâtrie, cette hideuse chimère qui avait été le principal prétexte de la persécution et qui avait bu le sang de tant de victimes humaines, elle durait encore un siècle après la paix de l’église. On ne sacrifiait plus aux césars après leur mort, mais pendant leur vie on les proclamait divins et éternels. Ce n’était qu’un mot, mais

  1. Champagny, Op. cit., p. 358.
  2. Et manu divina : Proponatur, etc. Novell., tit. XX.