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Au signal d’un point blanc découvert dans l’espace,
À mon tour j’ai crié comme un croisé du Tasse :
« Jérusalem ! Jérusalem ! »

J’ai franchi les déserts au pas du dromadaire.
De Damas à Balbeck, d’Alexandrie au Caire
J’ai couru, de lumière assouvissant mes yeux.
J’ai remonté du Nil toutes les cataractes ;
Thèbes m’a dévoilé, dans ses cryptes intactes,
Les secrets des morts et des dieux.

L’Océan m’a porté sur sa crinière immense ;
J’ai connu ses aspects de calme et de démence ;
Les nuits de l’équateur m’ont ouvert leurs écrins.
Les divins archipels que l’abîme enveloppe
M’ont fait prendre en mépris les fêtes dont l’Europe
Amuse ses peuples chagrins.

L’Amérique a reçu ma voile ; — dans ses plaines,
J’ai de la liberté savouré les haleines ;
J’ai dormi sur la natte, au chant de ses oiseaux ;
Ravi, j’ai parcouru ses forêts toujours neuves,
Escaladé ses monts et sillonné ses fleuves,
Où naviguent les grands vaisseaux.

Oui, niant les périls, méprisant les obstacles,
Voilà ce que j’ai vu de radieux spectacles,
Et maintenant, ami, rien, rien, jamais plus rien !
Pas même tes carrés de choux et de laitues,
Tes treilles que l’on dit de pampre encor vêtues,
Et la cabane de ton chien !

Ah ! frère, plains l’aveugle ! — Ainsi parle mon hôte ;
Puis, quittant son fauteuil, debout, la tête haute,
Il marche sans mon aide, — étrange, volonté !
Vers la fenêtre où luit le beau soleil d’automne ;
Il marche, en se guidant d’une main qui tâtonne,
Dans l’éternelle obscurité !