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plus que de tout autre gouvernement humain. Cette organisation d’origine divine commence à s’altérer sous Constantin ; l’incompatibilité de la primitive démocratie chrétienne avec les formes sociales du vieux monde se dessine de plus en plus. Cependant l’empreinte originelle ne s’effaça jamais entièrement. Aujourd’hui même, si délabré que soit le gouvernement ecclésiastique, il en conserve des traces visibles. La France du moins garda et défendit le dépôt des principes, que notre première assemblée nationale recueillit fidèlement. Chose digne de remarque, c’est quand la liberté politique paraît sur la scène du monde que renaît pour le catholicisme l’espoir de reprendre sa forme naturelle.

Le gallicanisme religieux avait succombé momentanément avec la réforme ecclésiastique de 1791. Frayssinous et les évêques de la restauration n’en gardèrent que des débris. Ils y mêlèrent en politique des doctrines dont s’éloignait la faveur publique. C’est ce qui livra le gallicanisme désarmé aux sarcasmes du comte de Maistre, aux attaques impétueuses de l’abbé de Lamennais. Le moyen âge et la théocratie eurent leur renaissance. Pendant que la France vaincue était foulée aux pieds par les armées étrangères, la pensée nationale affaiblie subit l’invasion des doctrines ultramontaines.


III

Comme l’immortelle doctrine que la France a marquée de son nom, l’ultramontanisme présente aussi deux faces, l’une civile ou politique, l’autre ecclésiastique ou religieuse. Le code ultramontain se ramène à deux principes qui contredisent les maximes de Pithou : premièrement la domination de l’église sur l’état, deuxièmement la domination du pape sur l’église. On peut même réunir l’une et l’autre dans le seul principe de l’infaillibilité du pape, car les papes, depuis le moyen âge, ont toujours revendiqué les deux droits ensemble ; les doctrines théocratiques règnent plus que jamais à Rome, et si l’on tient le pape infaillible, il est impossible de s’y soustraire. La première maxime de l’ultramontanisme détruit jusqu’à la possibilité de la liberté de conscience, met le prêtre au-dessus des lois, livre le mariage et toute la vie civile au sacerdoce, la seconde impose à l’église le régime de l’arbitraire, éternise les dissensions religieuses, enlève tout espoir de réforme. Par l’une et par l’autre, l’ultramontanisme est radicalement incompatible avec la nouvelle civilisation. Jamais il n’a été pleinement appliqué. Le génie des nations chrétiennes ne s’est jamais plié aux dernières conséquences du régime théocratique. Dans les violences et la confusion du moyen âge, la théocratie, nous le reconnaissons volontiers, remplit un rôle qui ne fut ni sans grandeur