Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 9.djvu/158

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Bossuet : c’est ne pas entendre ses maximes et son histoire. Que la puissance politique soit indépendante du sacerdoce, voilà le principe fondamental du gallicanisme civil, ce qu’il réclama toujours et partout, ce qui le constitue et le définit ; mais que cette puissance indépendante appartienne à un seul, ou à plusieurs, ou à l’universalité des citoyens, c’est une autre question, qui ne regarde plus le gallicanisme, et il pourra y avoir des gallicans républicains comme des gallicans monarchistes. Si Bossuet eut le tort de déifier le pouvoir royal, et le tort plus regrettable encore de vouloir rendre la religion complice de sa fausse politique, plusieurs parlementaires et les disciples de Port-Royal, gallicans non moins vigoureux, furent accusés de tendances républicaines. Malgré l’exagération de ses théories monarchiques, Bossuet appartient à l’avenir plus qu’au passé, et ses erreurs n’empêchent pas qu’en frappant au cœur l’ultramontanisme, il n’ait puissamment servi la cause de l’église et de l’humanité, et mérité l’éternelle reconnaissance du vrai libéralisme. Fénelon même y a-t-il autant de droits ? Dans le sujet qui nous occupe, il n’a pas le beau rôle. Pendant que Bossuet proclamait les libertés gallicanes en face de Rome réduite au silence et presque au respect, l’auteur du Télémaque réchauffait la théocratie et accablait les vaincus de Port-Royal, de concert avec les jésuites, ses protecteurs.

Une seule chose manqua au gallicanisme civil, tel que nos ancêtres le pratiquèrent, pour offrir dans tous les siècles la règle parfaite des rapports de l’église et de l’état. La négation du droit théocratique renferme logiquement l’abolition de toute religion d’état, et par suite la liberté et l’égalité des cultes devant la loi. Ces conséquences ne furent point aperçues. L’intolérance était alors partout, dans les faits et dans les opinions ; la réforme elle-même en garda le principe : on persécuta, on brûla à Genève comme à Rome. Ni les grands jurisconsultes dont les lumières et le courage illustrèrent les parlemens, ni les canonistes profonds qui sortirent des rangs du clergé ou du barreau français, ne pénétrèrent assez l’esprit de leurs propres maximes pour répudier cet héritage de préjugés sanglans et anti-chrétiens. Ramenant la confusion des deux domaines, le politique et le religieux, ils s’évertuent à établir « les droits des princes en tant que princes chrétiens. » Ces prétendus droits se réduisent au droit de persécuter. De ce côté nous n’avons rien à défendre, le rapport étant radicalement faux et propre à susciter de perpétuels conflits entre la puissance temporelle et la puissance spirituelle[1]. En réalité, c’était

  1. Le clergé eut quelquefois à se plaindre de cette sorte d’épiscopat séculier, de ces évêques du dehors, comme il désigna lui-même les empereurs et les rois ; mais il avait été le premier auteur du mal. Dès l’époque de Constantin, les papes et les évêques se montrèrent les plus ardens à réclamer des princes temporels la protection armée d’un culte qui venait établir sur la terre l’adoration en esprit et en vérité.