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et la défendre. Nos ancêtres ne s’y sont point trompés : ils soutinrent sans réserve la royauté dans sa lutte contre Rome. À l’occasion des démêlés de Philippe le Bel avec Boniface VIII, les députés des communes rédigèrent une Supplication au Roi, qui commence en ces termes : « A vous, très noble prince, notre père, par la grâce de Dieu roi de France, supplie et requiert le peuple de votre royaume, pour ce que il li appartient que ce soit fait, que vous gardiez la souveraine franchise de votre royaume, qui est telle que vous ne recognissiez de votre temporel souverain en terre, fors que Dieu. » Déjà la nation parle au roi comme à son mandataire. On la voit plus tard se serrer tout entière autour de Louis XII excommunié par le pape Jules II. Il est possible que les rois crussent ne travailler que dans leur intérêt. Quoi qu’il en soit, de leurs intentions, ils travaillaient en définitive pour le peuple et pour la liberté. Quand Bossuet et Louis XIV, en 1682, prononcèrent la déchéance du droit théocratique, ils furent de puissans révolutionnaires.

Relever directement de Dieu, c’est pour le pouvoir civil, à l’égard de la puissance spirituelle, le suprême affranchissement. Cela veut dire que les gouvernemens, que les peuples s’appartiennent, et que le droit naturel, droit divin aussi, mais dont la raison, et non le sacerdoce, est l’interprète, doit seul régner sur eux. Dès-lors l’état est un, et les membres de l’église, que] que soit leur rang dans la hiérarchie sacrée, sont comme le reste des citoyens soumis en tout à l’empire des lois. Cette maxime fit constamment partie de notre droit public. À la vérité, le corps des ecclésiastiques français jouissait d’importans privilèges politiques et civils ; mais l’état les tenait pour des concessions précaires et révocables : il n’y reconnut jamais un partage de l’autorité souveraine, ni un droit inhérent au sacerdoce. Les principes furent plus d’une fois rappelés : ils le furent notamment avec une force et une netteté remarquables dans l’arrêt du conseil d’état du 24 mai 1766. Cet arrêt porte « qu’à la puissance temporelle seule appartient, primitivement à toute autre, d’employer les peines temporelles et la force visible et extérieure sur les biens et sur les corps ;… qu’outre ce qui appartient essentiellement à la puissance spirituelle, elle jouit encore dans le royaume de plusieurs droits et privilèges sur ce qui regarde l’appareil extérieur d’un tribunal public, les formalités de l’ordre ou du style judiciaire, l’exécution forcée des jugemens sur les corps ou sur les biens,… mais que ces droits et privilèges accordés pour le bien de la religion et pour l’avantage même des fidèles sont des concessions des souverains dont l’église ne peut faire usage sans leur autorité. »

Ajoutons que ces privilèges allèrent sans cesse en s’affaiblissant, et qu’on peut suivre, dans tout le cours de notre histoire, un persévérant