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sont décrites les mœurs féroces des aventuriers sensuels et rapaces de l’Union. L’auteur parle d’une maison d’aliénés située dans la Caroline du sud, et qui n’était qu’une prison sous forme de maison de santé. Elle était ignorée dans l’état même où elle était située. Le gouvernement de l’état, eût-il connu son existence, n’aurait pas eu la curiosité de savoir ce qui s’y passait et le pouvoir de s’en faire ouvrir les portes. De tels faits ne proviennent pas seulement d’un respect exagéré pour la liberté du citoyen, ils proviennent aussi des obstacles que la nature des lieux et l’immensité des territoires opposent à l’action des lois.

Les vices et les maladies de la nature humaine ne font donc que changer de forme. En Amérique comme en Europe, l’homme est malheureux, malheureux au-delà de toute expression, et en vérité je ne puis assez m’étonner de la contradiction qui existe entre la littérature de notre époque et les doctrines qui ont cours parmi nous. La littérature nous présente l’univers habité comme un immense hôpital plein de douleurs et de misères : elle ne nous entretient que d’épidémies et d’ulcères, et réclame des médecins et des quarantaines, tandis que les philosophes chantent sur tous les tons que notre temps est le meilleur qui ait jamais été, le plus moral, le plus heureux, et que l’humanité, dégagée enfin des chaînes du mal, va commencer une nouvelle carrière toute de bonheur et de pureté. Laquelle a raison, de la littérature ou de la philosophie ? Hélas ! nous craignons bien que ces promesses de bonheur ne ressemblent aux assertions des amis de la paix. La guerre ne devait plus exister, et au moment où les docteurs de Londres et de Paris l’avaient bien et dûment enterrée, la voilà qui reparaît semblable à Jean Grain-d’Orge dans la ballade de Burns. Peut-être en est-il de même du mal. Cependant nous n’exprimons cette opinion qu’en tremblant, tant l’idée contraire est répandue de nos jours.


EMILE MONTEGUT.