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plus que partout ailleurs. Les tables tournantes et les esprits frappeurs n’ont été en Europe qu’une croyance momentanée, et n’y ont eu que des conséquences ridicules ; mais cette sotte superstition a eu en Amérique des conséquences extrêmement sérieuses. Un voyageur contemporain, dont nous avons le récit sous les yeux, s’est amusé à donner la liste de tous les cas de folie et de tous les crimes que l’on doit à la monomanie des tables tournantes, et la liste en est longue. Des individus font banqueroute, des pères abandonnent leurs enfans, et des enfans leurs pères, pour obéir aux injonctions de l’esprit ; les plus innocens vont grossir le chiffre de la population des Bedlam américains. La littérature américaine, qui a une prédilection marquée pour les bizarreries de l’esprit et les maladies de l’intelligence, peuple ses récits de monomanes. Il n’y a guère de roman ou de conte américain qui n’ait des fous parmi ses acteurs. Poë, Hawthorne, Willis, les affectionnent particulièrement. La folie semble devoir être endémique chez ce peuple fiévreux et nerveux à l’excès, actif outre mesure, inquiet, agité, acharné à la poursuite du succès et de la richesse.

Cette tendance à la folie est le seul point moral que nous voulions accuser. Quant aux mœurs et aux caractères qui sont décrits dans ces rapides esquisses, il serait fort injuste d’y chercher autre chose que des mœurs exceptionnelles et des caractères excentriques. On ne peut aller de bonne foi chercher l’image d’une société dans les hôpitaux et dans les maisons de fous. Toutefois nous pouvons, en passant et sans appuyer, faire deux ou trois observations. Ces récits touchent à d’autres vices de la société américaine elle-même qu’à cette prédisposition à la folie résultant d’un état nerveux et d’une surexcitation ininterrompue. L’intempérance figure au premier rang de ces vices, c’est elle qui en conduit le chœur et qui amène le dénoûment de plusieurs de ces récits ; mais, chose bizarre, elle ne s’y présente pas à l’état de passion qui se suffit à elle-même : elle a toujours une cause, et n’est que la distraction dangereuse et insensée d’une vie ennuyée ou fiévreuse. Le second fait que nous voulions relever, c’est la facilité avec laquelle une âme criminelle peut exécuter le mal en Amérique. C’est peut-être le pays où le crime peut trouver le plus de ressources et de sécurité. L’immensité du territoire fournit des retraites introuvables aux outlaws en fuite ; la grande liberté des citoyens et la faible autorité du gouvernement, l’impossibilité dans laquelle se trouve la police de surveiller les mouvemens de chaque individu donnent au criminel et à l’aventurier les moyens d’exercer leur industrie sans trop grand risque. Nous en avons une preuve dans la dernière des histoires que nous avons rapportées, et où