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mots, il devint extrêmement pâle, et nous partîmes. La voiture s’arrêta devant cette maison. Un étranger s’approcha de moi et me fit entrer ; la porte fut refermée derrière moi, et j’entendis la voiture qui repartait. Je tombai sans connaissance, et lorsque je revins à moi, je demandai où j’étais. — Dans une maison de fous, me répondit-on, et vous y serez traitée bien ou mal, selon votre conduite. — Et maintenant, docteur, ajouta-t-elle en terminant, vous êtes mon seul espoir, agissez avec prudence, car si on découvre à temps notre secret, je suis perdue, on me tuera, comme je sais qu’on a déjà tué plusieurs personnes qui n’étaient pas plus folles que moi, dans cet infâme établissement. »

Le lendemain, j’écrivis au propriétaire de la maison de santé, en insinuant mystérieusement qu’ayant entendu parler de son excellent établissement, je désirais confier à ses soins une dame que certaines personnes de sa famille regardaient comme folle, et qui jouissait d’une grande fortune ; puis je me rendis à la maison, et j’eus une entrevue avec son propriétaire. Je restai bientôt convaincu que cet homme était un parfait scélérat. Rien dans ses traits qui ne révélât la bassesse et la cruauté. Je parvins cependant à dominer les mouvemens d’indignation que me causaient sa personne et sa conversation, et je le quittai en lui annonçant pour le lendemain l’arrivée de la prétendue folle qu’on désirait confier à ses soins. J’obtins non sans peine du magistrat un mandat d’arrestation et l’assistance de deux constables, et, une fois mes mesures prises légalement, je me rendis de nouveau à l’infâme maison, où je réclamai hautement miss Adèle T… Le mandat d’arrêt et la présence de deux constables produisirent leur effet, et quelques instans après mon arrivée, j’avais arraché miss Adèle T… à sa prison.

Cependant la partie la plus ténébreuse de ce mystère restait encore à découvrir. Qu’était devenue mistress Mason ? Après sa sortie de la maison d’aliénés, miss T…, honteuse et repentante, résolut d’aller en Californie rétablir sa fortune dilapidée, en ouvrant un magasin de modes. Plusieurs mois après son départ, je reçus une lettre dans laquelle elle m’informait du sort de son amie et de son histoire depuis la scène nocturne de l’auberge et la découverte du corps de l’enfant. Miss T… tenait de la bouche de Mary Mason même, qu’elle avait rencontrée en Californie, les horribles détails qui suivent, et qui terminent cette trop sinistre histoire.

Il paraît que le soir même où mistress Mason fut enlevée par son mari, la jeune femme, au moment de se coucher, avait découvert par hasard des papiers constatant qu’elle était bien légalement l’épouse d’Édouard. Cette découverte la jeta dans des émotions si diverses et si violentes, qu’elle ne put s’empêcher de crier et de