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de ne pas avoir été déjà massacrée, par les démons qui ont assassiné votre fille et son enfant. Soyez prudente. Je ne puis rien vous dire de plus. Je ne sais pas moi-même dans quelle localité je suis emprisonnée. »

La lettre n’avait aucune signature et portait le timbre de l’état du Maryland. J’essayai de consoler la pauvre mère et je lui promis de faire tous mes efforts pour arriver à découvrir le crime et les coupables ; mais il s’écoula bien du temps avant que je fusse à même d’exécuter ma promesse.

Je ne doutai point un instant que la personne enfermée parmi les fous ne fût la belle inconnue voilée de la maison mystérieuse ; mais comment découvrir le lieu où était située sa prison ? Diverses circonstances fortuites me le révélèrent. Dans une excursion en compagnie de ma femme à Saratoga, je fis connaissance d’un gentleman âgé de trente-cinq à quarante ans et de sa femme, et quelle ne fut pas ma surprise en reconnaissant aux doigts et au cou de la dame les bijoux de l’inconnue voilée ! J’essayai, mais sans succès, de savoir où elle les avait achetés, et les soupçons qui avaient traversé mon esprit prirent encore plus de force, lorsqu’un jour on apprit que le gentleman et sa femme, qui passaient pour très riches et qui étaient au nombre des élégans de Saratoga, étaient partis subitement. Toutefois j’oubliai bientôt cet incident. À mon retour à New-York, je reçus la visite d’un ami de la Nouvelle-Orléans, qui m’apprit que les élégans étrangers de Saratoga avaient été arrêtés à Galveston, dans le Texas, sous l’inculpation d’un crime commis en Californie. Nous parvînmes, à force de promesses et de menaces, à arracher à la femme quelques aveux. Elle n’était point la femme légitime de P… (l’inculpé), elle était sa maîtresse ; les diamans qu’elle portait ne lui appartenaient pas, et elle avait tout lieu de soupçonner qu’ils provenaient d’une jeune femme séduite par P… et abusée par un faux mariage, qui était enfermée dans une maison d’aliénés près de B… (Caroline du sud). Elle avait la certitude que P… était un voleur et un assassin, mais elle n’avait trempé dans aucun de ses crimes et avait seulement consenti à jouir avec lui de ses gains infâmes.

Je me rendis aussitôt dans la Caroline du sud, et je cherchai les moyens de pénétrer jusqu’à la belle inconnue. Après bien des recherches infructueuses dans l’état de la Caroline du sud, je parvins à découvrir la maison d’aliénés ; mais comment y entrer, quelle ruse employer pour ne pas éveiller les soupçons et mener à bonne fin mon entreprise ? Je laissai ma voiture à quelque distance de la maison, qui était admirablement située, et avait un aspect singulièrement comfortable. Je rôdai autour des baies du jardin dans l’espoir de rencontrer l’inconnue, et je l’aperçus en effet qui se promenait