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infanticide avait été commis. Je ne sais pourquoi l’idée me vint que cet enfant mort était celui de mistress Mason, et je me rendis au bureau de police où le corps avait été déposé. Je remarquai autour du cou un petit collier de corail tout semblable à celui que portait l’enfant de mistress Mason. Je levai le bras du petit cadavre, et je fus soudainement éclairé en apercevant un signe que j’avais remarqué sur le bras de l’enfant lors de l’accouchement. Je n’eus plus aucune incertitude ; mais que pouvais-je faire ? Je ne connaissais pas même les noms des parens.

Les mois s’écoulèrent, et j’avais perdu tout espoir de pénétrer le mystère, lorsqu’un jour je reçus la visite d’une vieille dame vêtue de noir, et dont les traits indiquaient le plus profond chagrin. L’émotion l’empêcha de parler pendant quelques instans ; enfin elle me demanda si je n’avais pas assisté à l’accouchement d’une dame qui demeurait près de la route de Bloomingdale. — Oui, répondis-je. Cette dame était-elle une de vos parentes ?

— C’était ma fille, monsieur, dit-elle en fondant en larmes, et je crois qu’elle a été assassinée.

— Grands dieux ! que me dites-vous, et quelle raison avez-vous de soupçonner cet horrible crime ?

— Quelle raison ? docteur, quelle raison ? Lisez cette lettre, et puis dites-moi si mes soupçons ne sont pas fondés.

Je pris la lettre. Elle disait en substance que la fille désignée sous le nom de Mary était trop faible pour écrire elle-même et la prévenir qu’elle venait d’être mère d’un bel enfant ; que le vœu de son mari avait été de cacher à tout le monde son mariage, qu’il défendait encore à sa femme de voir ses pareils, mais que probablement la défense serait levée avant peu de temps. En attendant, sa fille la priait d’accepter un don de cinquante dollars et de ne pas s’inquiéter sur son sort.

— Cette lettre, qui ne contenait, rien de bien alarmant, reprit, la mère, fut cependant le premier indice qui me fit soupçonner qu’il était arrivé quelque grand malheur à ma pauvre fille. Je crains qu’elle n’ait été trompée par un faux mariage, abandonnée par son faux mari, et assassinée avec son enfant ; pour quelles raisons ? Je l’ignore, mais j’en suis presque convaincue. Oh ! pourquoi la justice n’est-elle pas également rendue au riche et au pauvre ? Pourquoi, dans un pays comme le nôtre, l’argent peut-il exempter d’un châtiment mérité ? Ceux qui ont de l’or ou des amis puissans commettent le crime avec impunité. Pourquoi, pourquoi en est-il ainsi ?

Quelques jours après la lettre que vous venez de lire, je reçus d’une petite fille un message verbal par lequel j’étais informée que ma fille désirait avoir une entrevue avec moi dans une maison située