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mes efforts pour ne pas éclater de rire. Vous m’avez promis le secret. Je compte sur votre parole. — Après avoir dit ces mots, elle me salua et retourna auprès de son amie.

Je retournai chaque jour à la maison mystérieuse, et chaque jour je trouvai auprès de la dame malade la fausse négresse soigneusement voilée. J’étudiai toute sa personne avec la plus grande attention, et je remarquai toutes les particularités de sa toilette. Ses mains, admirablement belles et délicates, étaient chargées de bagues richement montées, et elle portait au cou un médaillon d’un travail merveilleux. Toute sa personne enfin trahissait une femme d’une riche condition qui s’était laissée égarer et désirait ne pas être reconnue. Un jour que je passais dans Broadway, je fus obligé de m’arrêter par suite d’un embarras de voitures. Une de ces voitures passa devant moi, et comme les stores étaient levés, je pus voir distinctement les personnes qu’elle contenait : c’étaient une vieille dame et une femme d’apparence plus jeune, dont le visage était caché sous un voile vert. La personne voilée fit un geste, et sur sa main je reconnus les diamans que j’avais remarqués aux doigts de la belle inconnue. Le carrosse partit au galop, et je demandai à différentes personnes, qui me crurent fou, si elles savaient à qui il appartenait ; mais je n’obtins pour toute réponse que les quolibets des polissons de la rue qui s’étaient déjà rassemblés autour de moi, et me proposaient ironiquement de courir après la voiture, ou de leur donner un shilling pour aller s’informer du nom des dames.

Voyant que l’attention des passans se dirigeait sur moi, je pressai le pas, et je me rendis à la maison mystérieuse. La dame voilée était là, et les diamans dont ses doigts étaient couverts étaient bien ceux dont l’éclat m’avait tout à l’heure ébloui dans Broadway. Lorsque je quittai l’appartement, je m’arrêtai un instant dans l’antichambre, et je pris un des journaux qui se trouvaient sur la table et dont on avait retranché un paragraphe. La jeune dame voilée entra sans me voir, chercha le journal, regarda autour d’elle, et m’apercevant enfin :

— Je vous demande pardon, docteur, me dit-elle ; je croyais que vous étiez parti.

— Je suppose que vous cherchez le journal ?

— Oui, me répondit-elle ; mais il n’y a rien de pressé. Continuez, je vous prie.

— Je lisais un rapport fort intéressant de la Société historique ; mais cela me devient difficile, car on a coupé un des paragraphes imprimés sur le revers de la page.

— Oui, me répondit-elle d’un air embarrassé. J’ai l’habitude de couper certains paragraphes pour les coller dans mon album.