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leur esprit borné, ils ne comprennent jamais que leurs anciens alliés sont quelquefois, par divergence d’opinion, forcés de s’éloigner d’eux. Incapables d’entrevoir les motifs rationnels d’un pareil éloignement, ils se récrient tout de suite contre des motifs pécuniaires supposés. Ces cris sont caractéristiques. Les républicains se sont, une fois pour toutes, brouillés complètement avec l’argent, et tout ce qui peut leur arriver de mal est attribué par eux à l’influence de ce métal. En effet, l’argent sert à leurs adversaires de barricades, de bouclier et d’arme contre eux ; l’argent est peut-être même leur véritable adversaire, le Pitt et le Cobourg d’aujourd’hui, et ils déblatèrent contre cet ennemi, selon la façon des anciens sans-culottes. Au fond, il faut l’avouer, ils sont guidés par un juste instinct. Quant à la doctrine nouvelle qui envisage toutes les questions sociales d’un point de vue plus élevé, et qui se distingue du républicanisme banal aussi avantageusement qu’un manteau de pourpre impérial se distingue d’une blouse de grisâtre égalité ; quant à cette doctrine, les républicains n’ont pas grand’chose à en redouter, car la grande masse du peuple en est encore aussi éloignée qu’eux-mêmes. La grande masse, la haute et la basse plèbe, la noble bourgeoisie et la noblesse bourgeoise, tous les notables de l’honnête médiocrité comprennent très bien d’ailleurs le républicanisme, ils comprennent à merveille cette doctrine, qui n’exige pas beaucoup de connaissances préliminaires, qui convient à la fois à tous leurs petits sentimens et à toutes leurs étroites pensées, et qu’ils professeraient même publiquement, s’ils ne risquaient par là d’entrer en conflit avec l’argent. Chaque écu est un valeureux combattant contre le républicanisme, et chaque napoléon est un Achille. Un républicain hait donc l’argent à juste titre, et quand il s’empare de cet ennemi, hélas ! alors la victoire est pire que la défaite : le républicain qui s’est emparé de l’argent a cessé d’être républicain ! Il ressemble à ce soldat autrichien qui criait : « Mon caporal, j’ai fait un prisonnier ! » mais qui, lorsque le caporal lui dit d’amener son prisonnier, répondit : « Je ne peux pas, car il me relient. »

« De même que les républicains, les légitimistes sont occupés à mettre à profit les années de paix pour faire leurs semailles, et c’est surtout dans le sol paisible de la province qu’ils répandent la semence d’où ils espèrent voir naître leur salut. Ils se promettent les plus grands fruits de l’œuvre d’une propagande qui tâche de rétablir l’autorité de l’église, en fondant des établissemens d’instruction et en subjuguant l’esprit de la population campagnarde. Ils se flattent qu’avec la foi du bon vieux temps leurs privilèges du bon vieux temps reprendront aussi le dessus. C’est pourquoi ou voit des femmes de la plus haute naissance devenir, pour ainsi dire, les dames patronesses de la religion ; elles font parade de leurs sentimens dévots et cherchent à gagner des âmes pour le ciel, en attirant par leur exemple tout le beau monde dans les églises… Cela durera-t-il longtemps ?…

« Les dents de dragon que sèment les républicains et les légitimistes nous sont connues maintenant, et nous ne serions pas surpris de les voir un jour éclore et surgir du sol en combattans armés, puis s’égorger les uns les autres, ou bien fraterniser ensemble. Oui, cette dernière chose est possible : n’y a-t-il pas ici un prêtre qui, par ses sanguinaires paroles de croyant, espère consacrer l’alliance des hommes du bûcher et des hommes de la guillotine ? »