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REVUE DES THÉÂTRES.
THEATRES LYRIQUES.

Le public du Théâtre-Italien vient de voir reparaître Mme Viardot sur la scène de ses anciens succès. Une indisposition de Mme Borghi-Mamo a forcé l’administration de s’adresser à Mme Viardot, qui se trouvait heureusement à Paris, libre de tout engagement, et qui s’est fait entendre d’abord dans le rôle de Rosine du Barbier de Séville, et puis dans le rôle de la bohémienne Azucena du Trovatore, chanté précédemment par Mme Borghi-Mamo. Toutes les fois que nous avons eu à parler de Mme Viardot, nous avons toujours éprouvé un certain embarras. Les qualités incontestables de cette cantatrice éminente sont mêlées de défauts si saillans, qu’il semble d’abord impossible qu’ils puissent coexister dans la même organisation. Fille d’un grand artiste et sœur d’une femme qui a porté sur la scène lyrique quelque chose du tempérament du génie, Mlle Pauline Garcia, qui est devenue plus tard Mme Viardot, s’est émue de très bonne heure au bruit de la renommée et n’a presque pas eu d’enfance. Sa voix a été soumise avant le temps à des exercices trop précipités qui en ont arrêté la sève, et sa vive intelligence, franchissant trop tôt le seuil de la vie intérieure, a manqué de ce repos et de cette gestation des premières années, qui sont aussi nécessaires à la vie morale qu’à la vie physique. Il résulte de cette précocité que l’art surabonde chez Mme Viardot et dépasse la nature. C’est là ce qui nous explique pourquoi une femme aussi éclairée, une musicienne aussi parfaite, une virtuose enfin non moins familiarisée avec le style de Pergolèse, de Marcello, de Haendel et de Gluck qu’avec celui de Rossini et de Meyerbeer, manque souvent l’effet qu’elle poursuit avec tant de curiosité, et pourquoi la manière atteint jusqu’à la source de son inspiration. C’est là notre plus grand grief contre Mme Viardot. Il y a dans son talent, que nous n’avons jamais contesté, quelque chose des infirmités de M. Liszt, qui est resté un grand enfant, toujours à l’état de phénomène, et qui, pour avoir voulu parler toutes les langues avant de bien savoir celle de sa mère, n’en parle aucune d’une manière raisonnable. Sans vouloir donner à ce rapprochement plus d’importance qu’il ne faut, il est certain que Mme Viardot a pris trop au sérieux les applaudissemens qui lui ont été prodigués, dès l’enfance, par une société complaisante dont le goût a toujours été équivoque. Aussi, après avoir reçu les ovations enthousiastes d’un petit cénacle d’initiés où M. Reber passait pour un homme de génie, M. Berlioz pour un compositeur, M. Liszt pour un écrivain, et Mme Sand pour un bon juge en musique, Mme Viardot a-t-elle été fort étonnée de l’accueil que lui a fait ce grand public, qui n’entend pas malice, mais en qui réside après tout la voix de Dieu. Nous ne voudrions d’autres témoignages de la vérité de nos observations que l’exemple tout récent que nous a donné Mme Viardot dans le Barbier de Rossini.

Mme Viardot a eu l’ambition de changer à peu près tous les passages ai connus de l’air una voce poco fa; elle a voulu prêter, comme on dit, de la lumière au soleil et de l’esprit au bon Dieu. N’y avait-il pas de la témérité aussi à venir chanter devant le public des Italiens le rondo de la Cenerentola,