gota une dictature qui n’était, en définitive, que le dernier mot des récentes
agitations de la Nouvelle-Grenade, et qui commençait par supprimer la constitution
et les chambres en créant une sorte d’autocratie démagogique. Le
général Obando, président légal de la république, était-il le complice secret
ou la victime de ce mouvement, dont le général José Maria Melo avait pris
l’initiative ? On ne l’a jamais bien su. Toujours est-il qu’Obando restait prisonnier
entre les mains du nouveau dictateur ; mais c’était un prisonnier environné
de toute sorte d’égards. Pour le moment, la dictature demeurait
maîtresse de Bogota, et elle se manifestait par toute espèce de spoliations,
d’exactions et de violences, qui n’ont fait que s’accroître à mesure que ce
triste pouvoir sentait sa fin s’approcher. Dans les derniers temps notamment,
le corps diplomatique ayant à sa tête le représentant de la France, M. le
baron Goury du Roslan, qui a montré dans toute cette crise autant de fermeté
que d’intelligence, — le corps diplomatique se voyait exposé à une véritable
tentative de meurtre, au moment où il allait réclamer en faveur de
trois Anglais emprisonnés. C’est dans ces conditions que s’est trouvée la ville
de Bogota pendant huit mois. Si maître qu’il fût de la capitale, le général
Melo ne pouvait compter évidemment que sa dictature allait être partout acceptée.
Son pouvoir a duré tout le temps qu’il a fallu à une résistance sérieuse
pour s’organiser. Le congrès dissous se réunissait dans une province et mettait
en accusation l’ancien chef du pouvoir exécutif. Le général Mosquera formait
une armée dans le nord de la république, le général Hilario Lopez allait
lever des soldats dans le sud. À la tête de toutes les forces militaires de la
résistance était placé un homme considéré de tous les partis, le général Herran.
La lutte se trouvait ainsi engagée. Des divers côtés de la république,
les troupes levées au nom de la constitution se sont rapprochées de la capitale
et ont cerné le général Melo, qui disposait néanmoins encore de forces
considérables. C’est dans les premiers jours de décembre 1854 qu’une bataille
livrée aux portes de Bogota et jusque dans les rues de la ville décidait par les
armes du sort de cette dictature sans nom. Les troupes constitutionnelles restaient
victorieuses. Ce serait certes d’un utile exemple en Amérique que la
défaite d’une dictature révolutionnaire. Par malheur on ne peut oublier que
ce qui a triomphé, en apparence du moins, c’est une constitution qui réunit
toutes les incohérences démagogiques, et qui n’a pas peu contribué à jeter
le pays dans l’état où il s’est vu. Si cette constitution est maintenue, ne risque-t-elle
pas de conduire de nouveau au même résultat ? En outre il se
trouve aujourd’hui en présence à Bogota des hommes qui ont vaincu ensemble,
mais qui sont profondément divisés par leurs antécédens et par leurs
ambitions. Le général Hilario Lopez a été le président du parti démocratique,
le général Mosquera a été le président du parti conservateur. Le général
Herran a eu aussi son jour. À qui restera le pouvoir ? Au plus habile sans
doute, à celui qui exercera le plus d’influence sur l’armée. Ce qui est plus
singulier, c’est que l’un de ces candidats au pouvoir suprême, le général
Mosquera, après avoir représenté les opinions conservatrices, semble chercher
à gagner la faveur du parti démocratique le plus avancé. Que fera-t-il,
s’il l’obtient et s’il arrive au pouvoir avec ce périlleux appui ? C’est son secret.
Malheureusement, dans ces luttes singulières, c’est la destinée de tout
un pays qui s’agite et qui ne peut arriver à se fixer.
ch. de mazade.
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