Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 9.djvu/132

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de politesse qui ne laissaient soupçonner aucune intention cachée. Quelquefois même il m’offrait des bouquets que je n’osais refuser de crainte de l’affliger, et peu à peu je commençai à aimer les bouquets à cause de celui qui les offrait. Deux ou trois mois se passèrent ainsi ; nous étions devenus aussi intimes qu’il est possible de l’être entre un jeune homme riche et plein d’avenir et une simple demoiselle de comptoir. Quelques idées d’amour romanesque avaient traversé mon esprit ; j’avais d’abord chassé ces pensées néfastes : plût à Dieu que je leur eusse toujours résisté ! Mais lorsque je le voyais entrer dans la boutique avec des dames, ses égales par la condition et la fortune, alors la jalousie s’éveillait dans mon cœur, et je ressentais tous les tourmens de l’amour.

Ma mère demeure à Long-Island, et j’avais l’habitude alors d’aller la voir le dimanche. Un dimanche soir, en revenant de ma visite accoutumée, je fus surprise par un orage, et j’étais encore loin du bateau lorsqu’une voiture passa près de moi ; un jeune homme en descendit et offrit de me conduire chez moi : c’était Édouard. Une voix mystérieuse semblait me chuchotter à l’oreille : « Tiens-toi sur tes gardes, ou il t’arrivera malheur. » Mais la conduite d’Édouard était si galamment respectueuse et si digne d’un véritable gentleman, que je me laissai arracher la promesse de le revoir le dimanche suivant et d’aller à la campagne avec lui. À dater de cette époque, mes visites à ma pauvre mère devinrent plus rares, car ces promenades à la campagne furent le commencement de bien d’autres. Peu à peu Édouard en vint à me parler d’amour. Comme mon cœur palpitait à la musique de sa voix ! comme mes oreilles buvaient le miel de ses paroles ! Il devint plus hardi et plus ardent, et, s’efforçant de m’amener à ses désirs, il me parla avec mépris de cette union officielle consacrée par les paroles du prêtre, et essaya de me persuader que le vrai mariage était l’union de deux âmes enchaînées l’une à l’autre par une affection réciproque. Je l’écoutai d’abord avec inquiétude, puis avec chagrin ; mais telle était alors la violence de mon amour, que je n’eus pas la force de me détourner du tentateur. Toutefois je lui déclarai que jamais je ne tomberais dans aucune de ces doctrines socialistes, que l’homme qui me voudrait pour femme devrait faire consacrer notre union à l’autel, et Édouard, se moquant de ma pruderie, proposa de m’épouser. Lui, le gentleman riche et bien élevé, offrait à l’humble fille de boutique de l’épouser ! J’oubliai toutes mes craintes dans le délire de bonheur qui s’empara de mon être entier en entendant cette proposition, et je lui promis solennellement d’être à lui, à lui seul.

La pauvre jeune femme laissa tomber sa tête sur son oreiller et s’arrêta, ne pouvant résister à la violence de son émotion. Je laissai