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suffisantes, et la première pensée qui vient à l’esprit est de se demander quelle est l’explication mystérieuse de ce pénible enfantement. Il se peut qu’on cherche fort loin à Bruxelles une cause qui est peut-être très près. Que la discussion qui a eu lieu, il y a quelques jours, dans le parlement au sujet de la neutralité belge ait contribué à cette crise et ait créé des difficultés au ministère qui existait alors, c’est là ce qu’on aurait dû prévoir, s’il en était ainsi ; mais nous croyons qu’on se trompe à Bruxelles, et qu’on s’exagère quelque peu la portée de cet incident ou de tout autre fait qui s’y rattache. La véritable cause de la crise actuelle est dans l’état des partis distribués de telle sorte qu’aucun d’eux ne peut exercer le pouvoir avec sécurité. C’est de cette situation qu’était né le ministère de M. Henri de Brouckère. On s’est plu trop souvent à attaquer ce pouvoir de transaction, tout en reconnaissant l’impuissance des opinions tranchées ; on voit où ce système a conduit. Maintenant quelle sera la décision souveraine du roi Léopold ? Le roi des Belges laisse faire, il consulte tout le monde, il épuise les combinaisons. Un cabinet entièrement libéral semble complètement impossible. Un ministère d’une couleur catholique trop prononcée ne rencontrerait pas moins d’obstacles sans doute. Une nouvelle combinaison mixte serait-elle plus heureuse que celle de M. Henri de Brouckère, si elle est tentée ? Là est la question. Il n’est pas moins vrai que dans de telles circonstances tous les hommes attachés aux institutions parlementaires en Belgique ont un singulier intérêt à ne point compromettre ces institutions par des discussions périlleuses, ou par des luttes de partis qui aboutissent à une impuissance universelle.

Dans cet enchaînement des choses contemporaines, principes, ambitions, passions, tous ces élémens de la vie publique qui se résolvent parfois en luttes sanglantes se montrent sans cesse sous des aspects qui se modifient à l’infini, qui varient autant que le caractère moral des peuples, autant que leurs traditions, leurs instincts et leurs conditions d’existence. C’est le privilège de l’Amérique du Sud, même dans un siècle si fécond en mouvemens de tout genre, de conserver une triste et étrange originalité en fait de révolutions. Là il semble qu’il n’y ait de puissance que pour l’agitation ; les momens de paix sont à peine des trêves arrachées à la lassitude et rompues par la première passion qui se réveille ; il y a dans l’incohérence une sorte d’irrésistible et fatal attrait auquel succombent successivement toutes ces républiques. Les révolutions sud-américaines du reste ont cela de curieux, qu’on ne sait trop assez souvent ce qui laisse le plus d’embarras, de leur défaite ou de leur triomphe. Preuve évidente qu’elles ne sont que le symptôme d’un mal plus profond ! Deux pays surtout aujourd’hui viennent de voir se dénouer des mouvemens de ce genre ; seulement le résultat n’a point été le même. Dans la Nouvelle-Grenade, une dictature révolutionnaire, qui avait surgi il y a bientôt un an, a été vaincue et abattue par c^ qu’on nomme le parti constitutionnel. Au Pérou, le gouvernement a succombé devant une insurrection qui durait depuis quinze mois, et qui a fini par ramener triomphant à Lima le général Castilla, vainqueur du président légal, du général Échenique. C’est là le fond de ces deux événemens récens du Nouveau-Monde. La lutte est terminée ; des difficultés d’une autre nature commencent aujourd’hui.

C’est le 17 avril de l’an passé, si l’on s’en souvient, que se formait à Bo-