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M. Véron a donc écrit les Mémoires d’un Bourgeois de Paris en homme qui a connu les grandeurs humaines, il a fait des ministres incontestablement et n’a point voulu l’être. Il a vu les coulisses du théâtre et de la politique ; il a même failli faire une comédie, et n’en a retenu que deux vers, dont le sens est qu’il faut bien vivre, qu’on ne prend un état que pour le quitter. Voilà sans doute comment, après avoir été directeur de l’Opéra, rédacteur de journaux, politique très versé dans les solutions, M. Véron est redevenu simplement l’auteur des Mémoires d’un Bourgeois de Paris.

À vrai dire, la révolution de 1830, le règne de Louis-Philippe, la révolution de 1848 n’étant point des événemens essentiellement inhérens à la vie de M. Véron, on ne peut s’étonner que ses souvenirs ne soient pas toujours d’une entière nouveauté, ni même d’un intérêt démesuré sur ces diverses époques ; ce n’est pas là non plus sans doute qu’on cherchera ce qu’il faut penser de » hommes publics de notre temps. Là où l’auteur des Mémoires devient curieux, instructif et intéressant, c’est quand il raconte des événemens plus récens, tels que ceux de 1851, ajoutant à l’histoire officielle plus d’un incident particulier. Ce qu’il y a de plus piquant aujourd’hui peut-être dans le livre de M. Véron, c’est l’espèce de désabusement qui se fait jour dans le récit de cette longue odyssée du bourgeois de Paris. Il en résulte, hélas ! que les ambitions humaines ont parfois quelque peine à se frayer une route, et que même quand elles sont satisfaites, elles ont encore leurs déceptions. M. Véron est le premier à rire de lui-même lorsqu’il se représente poursuivant à tout prix une recette générale, une place au conseil d’état, ou la sous-préfecture de Sceaux, et recevant à bout portant, d’un ministre, cette singulière interpellation : « Vous voulez donc être directeur des bals de Sceaux ! » C’était sous la dernière monarchie. Franchissez maintenant quelques années. Ce bourgeois de Paris est arrivé à son but ; il est devenu un personnage. Soudain éclate sur son journal une petite tempête d’avertissemens, comme il l’appelle, et aussitôt le vide se fait autour de lui. Les femmes des fonctionnaires qui désirent de l’avancement ne font plus appel à son influence, les amis qui ont quelque chose à demander se retirent, et le bourgeois de Paris, après avoir tant fait, n’a plus qu’à écrire ses Mémoires, dernier témoignage du rôle qu’il a joué. Ils resteront, ces Mémoires, comme un précieux spécimen de notre temps, comme un recueil de souvenirs parfois amusans et curieux sur notre histoire politique et littéraire, comme une lumière morale de plus jetée sur cet ensemble de faits et de transformations qui marquent le caractère de notre époque.

À mesure que cette époque se déroule, les élémens de son histoire ne s’accroissent-ils pas sans cesse ? Les événemens ne se succèdent-ils pas, imprimant à l’activité de nouvelles directions et jetant un nouvel intérêt dans la vie de chaque peuple ? Discussions pratiques, luttes de partis, crises du pouvoir, ce sont là les incidens ordinaires dans l’histoire des pays où tout est soumis au contrôle de l’opinion. Ainsi, depuis plus d’un mois déjà, l’alliance du Piémont avec les puissances occidentales se trouve être l’objet de débats permanens à Turin. Après la discussion de la chambre des députés est venue celle du sénat, et là encore l’aUiance a été approuvée par un vote décisif qui a permis au gouvernement d’échanger les ratiiications du traité qu’il avait signé. Il y a eu, il est vrai, dans le sénat un moment d’hésita-