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d’exhaler sa grande âme, et qu’en mourant il avait recommandé à son frère de Prusse, à son cher Fritz, de ne point se désister de sa politique à l’égard de la Russie, de se rappeler toujours les suprêmes exhortations de son père Frédéric-Guillaume III. Le roi de Prusse a été, assure-t-on, profondément ému de ce deuil de famille. Il l’a ressenti avec sa vivacité d’impression et son expansion habituelle. Il a oublié devant la mort que son beau-frère l’avait quelquefois traité avec une hauteur voisine du dédain. Douleur légitime et respectable assurément ! mais doit-elle faire oublier les devoirs politiques d’un grand gouvernement ? Or il est par malheur trop vrai que la mort du tsar a été pour la Prusse le signal d’une véritable retraite ; le roi Frédéric-Guillaume n’a plus voulu entendre parler de traités ni de protocoles ; on va même jusqu’à prétendre qu’il aurait assez vivement éconduit le président du conseil, M. de Manteuffel, qui venait l’entretenir de cette grave affaire. Il en résulte que le retour récent du général de Wedell à Paris n’est point probablement destiné, pour l’instant, à marquer un pas très décisif dans les relations de la Prusse et des puissances occidentales. Le général de Wedell n’a pu que faire connaître les impressions de son souverain, lequel serait disposé, s’il y était invité, à adhérer au protocole du 28 décembre, moyennant son admission aux conférences de Vienne. Quanta un traité plus explicite, sa profonde douleur ne lui permettrait pas d’y songer. Plus tard on verrait. La Prusse serait prête, par exemple, à signer un traité définitif, si les trois puissances en venaient là, pour assurer l’intégrité de l’empire ottoman. La question une fois placée sur ce terrain de réticences ou d’hypothèses à longue date, il ne pouvait y avoir évidemment de solution, car on ne demandait point à la Prusse de garantir l’intégrité de l’empire ottoman dans l’avenir : on lui demandait de l’assurer dans le présent. Les conférences s’ouvriront à Vienne donc sans la Prusse.

Le gouvernement prussien avait élevé dans ces derniers temps une prétention bien plus étrange que celle de ne contracter aucun engagement. Il prétendait assigner à la mise en état de guerre des contingens fédéraux de l’Allemagne le caractère d’une mesure qui s’appliquerait également aux puissances belligérantes de l’Occident et à la Russie. Il voulait même mettre en état de défense les forteresses fédérales qui sont du côté de la France. De là est né un nouveau conflit diplomatique avec l’Autriche, qui ne pouvait comprendre que des mesures militaires proposées par elle tournassent justement contre ses alliés. C’est ainsi que la politique de la Prusse en Allemagne s’éclaire par les missions qu’elle expédie dans toutes les cours, et que ces missions trouvent à leur tour leur commentaire dans la politique à laquelle le cabinet de Berlin cherche sans cesse à ramener la confédération germanique. Mais enfin, si la décision n’est point le caractère essentiel de la politique prussienne, le cabinet de Berlin regretterait assurément de ne point conserver avec les puissances occidentales des relations qui peuvent aboutir à un rapprochement plus intime ; au besoin même, ses bonnes dispositions se traduiraient par quelques faits. Récemment encore il défendait la publication d’un journal qui allait paraître à Berlin sous le patronage et en faveur de la politique russe, et il allait jusqu’à contraindre les rédacteurs à partir dans les vingt-quatre heures. Il a également interdit d’une façon plus efficace une sorte de contrebande d’armes de guerre qui s’était organisée