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L’empereur Alexandre II, le voulût-il, aura-t-il la force suffisante pour commencer son règne en signant une paix qui ne satisfera point certainement les vieilles et traditionnelles aspirations de la Russie en Orient ? Et comme, d’un autre côté, l’Europe ne s’est laissé guider par aucun sentiment particulièrement blessant contre le dernier empereur dans les conditions qu’elle a stipulées, comme la politique est restée son seul mobile, les difficultés ne demeurent-elles pas les mêmes ? Avec le nouveau souverain comme avec son prédécesseur, le point essentiel pour l’Europe est d’obtenir les garanties d’une paix placée désormais à l’abri des atteintes permanentes d’une dangereuse ambition. Les premiers actes d’Alexandre II, du reste, sont peu propres à révéler les véritables dispositions de la Russie au lendemain du grand événement qui vient d’éprouver sa politique. On ne peut même y trouver jusqu’ici des symptômes qui aient une signification réelle. Le prince Menchikof, il est vrai, quitte le commandement de l’armée russe de Crimée ; mais son rappel est l’œuvre de l’empereur Nicolas. L’acceptation des quatre points de garantie a été maintenue, et le représentant de la Russie en Autriche, le prince Gortchakof a reçu de nouveaux pouvoirs pour prendre part aux conférences de Vienne ; mais ce n’est là, en définitive, que la confirmation d’un acte accompli au nom du dernier souverain. Faut-il voir une expression de la politique du nouveau tsar dans le manifeste par lequel il notifie à son peuple son avènement au trône ? L’empereur Alexandre II, fidèle à la pensée de ses prédécesseurs, proclame son intention de marcher à l’accomplissement des vues et des désirs de Pierre le Grand, de Catherine II et de son père. Si on s’arrêtait aux mots, ce serait là, il faut en convenir, une faible garantie de paix, un symptôme peu favorable, au moment d’entrer dans les négociations. Cette politique de Pierre le Grand et de Catherine, c’est là justement ce qui est en question : c’est la pensée à laquelle l’Europe prétend fixer une limite infranchissable, sans qu’il y ait au surplus dans cette légitime prévoyance rien d’hostile contre l’empereur qui vient de ceindre la couronne. Les puissances occidentales aujourd’hui ont certainement acquis le droit de se prémunir contre les tendances permanentes d’une politique qui s’arme de tous les fanatismes, de toutes les analogies de races, qui se perpétue comme une sorte de tradition fatale, et qui conserve assez de force pour que le nouveau souverain, au seuil de son règne, lui rende un hommage dont il sent peut-être lui-même le danger. Interprété dans le sens le plus modéré en effet, le manifeste impérial prouverait encore qu’Alexandre II paraît avoir à compter avec toutes les passions religieuses et nationales soulevées par son père, et on ne peut nier que ce ne soit là un redoutable héritage. C’est donc dans ces conditions, c’est au milieu de cet ensemble de symptômes qui n’ont pas eu le temps de prendre un sens plus précis, que vont s’ouvrir à Vienne les conférences où s’agitera la question de la paix et de la guerre. Il n’est point nécessaire de faire ressortir la gravité des premières délibérations qui auront lieu. L’importance de ces délibérations est aujourd’hui ce qu’elle était avant la mort de l’empereur Nicolas ; il s’agit des mêmes choses. Dans la pensée des puissances occidentales, rien n’est changé ; le souverain seul de la Russie porto un autre nom. Tout tient au degré de concessions que le nouveau tsar jugera compatible avec sa situation.

Rien n’est changé, disons-nous, dans la politique des puissances de l’Occi-