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par une toux violente, je n’ai pas besoin de vous dire que je suis très malade, et plus encore d’esprit que de corps. Vous excuserez les précautions mystérieuses que j’ai prises ; mais lorsque je vous aurai tout expliqué, peut-être me pardonnerez-vous tout l’ennui que je vous ai causé ?

Un accès de toux l’interrompit. Pendant quelques instans, elle retomba épuisée par la fatigue ; cependant elle se remit et me raconta son histoire, que je rapporterai telle qu’elle sortit de sa bouche.

Je n’ai pas toujours habité un appartement aussi somptueux, et plût à Dieu que je n’eusse jamais connu le luxe ! J’étais heureuse lorsque j’étais pauvre ; maintenant je suis pour jamais séparée du bonheur. Il peut vous sembler singulier, docteur, que je vous aie choisi pour être le confident de mon malheur ; mais vous rappelez-vous avoir assisté de vos soins il y a cinq ans mistress *** (elle me nomma la femme d’un confiseur renommé) ?

— Certainement, répondis-je. — Et alors je me rappelai vaguement avoir vu autrefois les traits de la jeune femme.

— Vous rappelez-vous avoir une fois laissé votre femme dans le salon tandis que vous montiez chez mistress *** ?

— Peut-être bien. Je ne me le rappelle pas exactement.

— Je puis aider votre mémoire en vous rappelant une autre circonstance. Au moment où vous alliez quitter le salon, quelques jeunes gens en état d’ivresse firent du scandale. L’un m’adressa quelques paroles injurieuses. Excité par les reproches d’un de ses compagnons, il leva sa canne sur moi et m’aurait frappée, si vous n’aviez pas détourné le coup.

— Oui, répondis-je, je me rappelle cette circonstance, et j’ai un vague souvenir de votre physionomie ; mais vous avez singulièrement changé depuis, ou mes yeux me trompent bien.

— Changée ! dit la dame d’une voix si triste, si touchante, si pleine de douleur, que je me repentis d’avoir employé cette expression ; oui, je suis bien changée, changée de corps et d’esprit. Ma jeunesse et ma beauté se sont évanouies, et je crains que ma pureté d’esprit ne se soit évanouie aussi. Maintenant je reprends mon histoire.

— Quelques semaines après l’événement dont je viens de parler, le jeune homme qui avait pris ma défense contre son brutal compagnon vint me voir et me fit des excuses pour les injures auxquelles j’avais été exposée. Il était si respectueux et paraissait si réellement indigné de la conduite de ses camarades, que je me sentis touchée, et lui assurai que je ne lui en voulais point et que je lui étais au contraire reconnaissante de ses procédés à mon égard. Il revint plusieurs fois à la boutique, et chaque fois il m’adressa quelques mots