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qui sacrifierait souvent encore aux penchans du cœur, si la voix des parens n’y venait mettre obstacle. En Orient, on paraît plus naïf, mais on est plus habile au fond, et l’on s’y marie beaucoup plus pour se marier qu’on ne le fait chez nous. Aussi que de craintes n’éprouvent pas des parens chrétiens, surtout s’ils sont pauvres, lorsque entrée dans l’âge où l’on prend un mari, leur fille n’a pas encore trouvé d’époux ! Il peut leur arriver qu’un matin l’innocente, en se plaignant à eux de ce qu’on la fait trop attendre, de ce qu’on ne s’occupe pas assez de son sort, les menace de s’en occuper elle-même, et pour cela de se faire musulmane. Le mot n’est pas prononcé, que des sanglots éclatent dans la maison; la nouvelle se répand promptement parmi les coreligionnaires de la jeune fille; les prêtres effrayés se mettent en mouvement; les uns l’entourent, la prient, la supplient de ne pas exécuter ses menaces, lui promettant de s’occuper sans délai de son avenir. Bientôt on les voit quêtant par la ville pour constituer une dot que l’on complétera au besoin avec de l’argent prélevé sur la caisse des pauvres. Pendant que les uns se livrent à cette œuvre charitable, d’autres non moins charitables, cherchant un époux, vont proposer la jeune fille et sa dot à celui-ci, puis à celui-là. Dans la plupart des cas, la rusée atteint sans apostasie son but, qui était d’avoir une dot et un mari. Dans quelques autres, soit par rancune, soit par tout autre motif, l’apostasie a lieu, et ces exemples, quoique rares, n’en sont pas moins déplorables, parce qu’ils s’ébruitent au-delà de toute expression, et habituent de jeunes esprits à se livrer à des pensées qui ne devraient jamais arriver jusqu’à eux.

L’apostasie n’est pas seulement le moyen employé quelquefois par de jeunes filles pour avoir un mari musulman à défaut d’un mari chrétien; c’est encore le moyen dont usent parfois des femmes mariées pour se débarrasser du mari chrétien dont elles sont fatiguées. Une femme chrétienne se faisant musulmane brise, aux yeux de l’islamisme, son mariage chrétien, qui, aux yeux de l’église, est indissoluble. Néanmoins, si le mari se fait musulman en même temps que sa femme, le mariage chrétien est maintenu dans toute sa valeur et dans toute sa force, quoi que la femme puisse dire. Le mari ne s’étant pas fait musulman, voilà donc un contrat bilatéral (en n’examinant la question qu’au point de vue humain) brisé légalement et sans motif légal par la volonté d’une seule des parties, qui laisse à l’autre toutes les charges nées de la communauté. C’est là une monstruosité en droit; mais il arrivera quelque chose d’aussi curieux, si cette même femme, ayant épousé un musulman pendant son apostasie, poussée par un autre mobile, rentre un jour dans le sein de l’église, car ce retour à la foi rompt aux yeux de la loi turque son mariage musulman, qui, d’après les règles de l’islamisme, ne