Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 9.djvu/1295

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des cent quarante-cinq chameaux volés à l’agent consulaire anglais. Ils offrirent les cent quarante-cinq chameaux, mais ils trouvèrent exorbitante la réclamation des Aleppins, et les Feddhans s’en retournèrent, vivant comme ils purent, mais éprouvant des pertes énormes. Privés d’une nourriture suffisante, les chameaux ne donnent plus en effet la même quantité de laine, les naissances diminuent dans une grande proportion, la quantité de fait est également réduite (or le lait est une partie de la nourriture des Arabes) ; puis enfin cette absence de nourriture suffisante amène une mortalité plus grande, mortalité qui des animaux s’étend quelquefois jusqu’aux hommes. L’épreuve fut donc des plus rudes, et si elle avait été renouvelée l’année suivante, il n’y a pas à douter que les Feddhans se seraient complètement exécutés ; mais Émin-Pacha était mort, et une guerre à soutenir contre le Hauran avait rendu impossible tout acte de sévérité à l’égard des Bédouins.

Quand on jette les yeux sur une carte de Syrie, on remarque, en allant de la mer au désert, deux grandes zones bien distinctes. La première est comprise entre la mer et une ligne que tracent par leur cours même le Jourdain et l’Oronte. Entre les sources de ces deux rivières, dont l’une coule au nord et l’autre au sud, se trouve, comme pour les lier stratégiquement, le massif le plus puissant de l’Anti-Liban, massif inaccessible aux Bédouins, qui n’engagent jamais leurs chevaux ni leurs chameaux dans les pays montagneux. Cette première ligne est la plus facile à défendre. La seconde zone s’étend de l’Oronte et du Jourdain jusqu’à la ligne assez sinueuse que forment, comme l’ourlet même du désert, les derniers contreforts de l’Anti-Liban, le plateau du Ledja et la chaîne du Hauran. Laissons pour un moment de côté tout ce qui se rattache à cette dernière zone et au cours de l’Oronte, car nous avons déjà vu combien il faut peu de forces pour la garder ; ne nous occupons que du cours du Jourdain à partir du Dgebel-el-Cheik, montagne où ce fleuve prend sa source.

Quelques ponts, en très petit nombre, existent sur le fleuve. Il existe également dans sa longueur quelques gués dont profitent les Arabes pour faire leurs excursions. Lorsqu’on traverse les ponts dont il est question, tels que le pont des Filles-de-Jacob, au nord du lac de Tibériade, ou celui de Medjana, au sud de ce même lac, on les trouve commandés, sur la rive orientale, par d’anciennes fortifications suffisamment proches pour que les Bédouins, si ces fortifications étaient occupées militairement, ne pussent pas mettre à profit les ponts et passer sur la rive droite. Presque partout où se trouvent des gués, il en est de même. On avait donc senti dans d’autres temps la nécessité de rendre impossible aux Bédouins le passage en masse