Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 9.djvu/1285

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chameaux principalement), du beurre et des tapis communs. Il lui prend en échange de la farine, de l’orge, du maïs, du riz, des bijoux communs, des armes, des étoffes, des épiceries, des fruits secs, des objets de sellerie, etc. Le voisinage des Arabes bédouins n’est pas, on le voit, sans avantages pour le commerce damasquin; mais comme toute médaille a son revers, ce voisinage n’est pas non plus sans inconvéniens, et l’on peut dire que, réuni à l’incapacité des fonctionnaires Turcs en général et à l’usure exercée par certains capitalistes qui ne sont pas Turcs, il est l’une des trois principales causes du malaise qui règne sur cette terre si favorisée de Dieu.

Non-seulement l’Arabe est voleur de sa nature, mais il a une manière à lui de faire contribuer le pauvre paysan, qui est plus onéreuse encore que ses brigandages à main armée. Le Bédouin en effet, comme certain parti politique en Europe, est très partisan de la fraternité, et ce qui complète la ressemblance, c’est que le Bédouin ne se borne pas à offrir sa fraternité : il l’impose.

Un pauvre paysan qui entreprend la construction d’une maison ou d’une étable doit commencer par prier Dieu de détourner tout Bédouin de l’idée de passer dans le voisinage, car, s’il vient à y passer un Bédouin, l’enfant du désert, qui voit de loin, ne manquera pas de s’approcher et de demander la permission de joindre sa pierre à l’édifice; puis, la chose faite, il s’empressera de dire au paysan que désormais il est son frère, qu’une sorte de lien mystique les imissant à jamais, tout homme qui s’attaquerait à sa personne ou à ses biens aurait à répondre d’un tel attentat à toute la tribu à laquelle il appartient. Certes c’est là un grand et fort appui; le paysan avait cependant de bonnes raisons pour ne pas trop le désirer, attendu que le nomade officieux ne négligera pas d’annoncer qu’il compte, en échange d’une si, puissante protection, sur une de ces preuves d’attachement qu’on ne saurait refuser , un frère. Sans plus d’hésitation, le prix de la fraternité est fixé à 200 piastres (50 francs), ou tout au moins à 100 piastres de redevance annuelle; le tout dépend des dispositions plus ou moins généreuses dans lesquelles se trouve le Bédouin ce jour-là. Cela dit, le contrat est passé, et le paysan n’a plus qu’à préparer son argent, car, en cas de non-paiement, la même tribu prête à marcher au besoin à sa défense marcherait à l’attaque de sa maison.

Mais, dira-t-on, comment l’autorité ne vient-elle pas au secours des paysans ainsi pressurés ? Oh! l’autorité turque a bien assez de se défendre quand le Bédouin l’attaque, et elle se garde comme du feu d’aller s’interposer dans de pareilles affaires. La faute en est, il faut d’abord le reconnaître, au gouvernement de la porte, qui s’effraie du moindre bruit; elle est ensuite à l’indolence des pachas,