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l’ancienne Abila était si exactement situé au bord du torrent, que depuis on a transformé ses ruines en un moulin que l’eau du Barada fait encore tourner en ce moment. Or, de l’admission d’un tel culte à la supposition que les habitans de Damas avaient fait des rochers d’Abila le lieu de leur sépulture privilégiée, il n’y a rien, ce me semble, que de très naturel.

La Bible appelle le Barada Farfar (qui féconde). Les Grecs l’appelaient Chrysorrhoas (qui roule de l’or). Ce n’était là assurément qu’une métaphore pour exprimer les richesses que ses eaux portent partout où elles atteignent. En effet, les terrains qu’il traverse ne contiennent pas et par leur constitution géologique ne peuvent pas contenir de l’or, attendu que ce sont de purs calcaires compactes. Le nom actuel de Barada doit venir du mot arabe berd (froid), et pourrait signifier alors : qui rafraîchit. Après d’assez longs détours dans une vallée qui va sans cesse en s’élargissant, le Barada se présente enfin, toujours rapide et bouillonnant, dans la plaine de Damas, plaine qui à sa naissance offre, comme le vallon d’El Souck, l’aspect d’un cirque de montagnes, mais d’une étendue infiniment plus grande. Malgré la rapidité de sa course, malgré le volume des eaux qu’il porte dans cette vaste plaine, le Barada est loin de rouler, alors qu’il y pénètre, toutes les eaux qu’il entraînait un peu plus haut. De vastes emprunts lui ont effectivement été faits. Les plus importans sont les canaux de Jesid, de Tora et de Mezé, canaux de cinq à six mètres de largeur et d’au moins un mètre de profondeur; ils enveloppent la plaine, passant sur ses contours supérieurs, déversant leurs eaux sur toute la surface des terrains en contre-bas, et subvenant aussi à l’approvisionnement de Damas, qui de toutes les villes du monde est peut-être celle qui a le plus d’eau à fournir aux usages domestiques. A la sortie de la plaine, les eaux qui n’ont pas été absorbées par les terrains cultivés (et il en reste peu dans l’été) vont se réunir dans un lac très étendu autour duquel croissent d’abondans pâturages.

J’ai parlé d’une autre rivière qui coopère aussi à l’irrigation du territoire de Damas. Cette rivière se nomme l’Awach, mot qui signifie sinueux. L’Awach descend du Dgebel-el-Cheik et coule presque parallèlement au Barada, qu’elle va rejoindre dans les lacs du désert. Ainsi la plaine de Damas forme deux zones bien distinctes : l’une, au nord, est celle des terrains calcaires, c’est celle que baigne le Barada; l’autre, au midi, est celle du terrain volcanique provenant des coulées du Dgebel-el-Cheik ou des pics qui l’avoisinent : c’est la partie que fertilise l’Awach. Le contraste de ces terrains et des roches qui les constituent a dû, pour le dire en passant, donner à l’architecture des califes l’idée de ces constructions si pittoresques.