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chapeaux à cornes, au lieu de les avoir en habits noirs et en perruques. Que de fois la Crimée nous a rappelé l’argument du médecin de Molière, qu’il vaut mieux mourir selon les règles que d’être sauvé contre les règles, attendu que la règle est incomparablement plus précieuse que la vie des individus ! »

Mais, disions-nous encore, le système n’est pas le seul coupable, car le système tient à la constitution sociale du pays. L’Angleterre n’est point une nation militaire, parce que la carrière militaire n’y est qu’un privilège ou une impasse. On n’y arrive aux grades que vieux ou riche, que par l’ancienneté ou par l’argent. Comme nous tenons à nous entourer d’autorités, nous citerons ce que disait à cet égard un des membres de l’administration, le sous-secrétaire d’état de l’amirauté. Voici ce que disait M. Osborne en pleine chambre des communes : « Le temps est venu où vous ne pouvez plus demander à une armée de gagner des batailles ou de supporter les épreuves d’une campagne avec l’ordre de choses existant. Il faut que vous mettiez la cognée sans miséricorde à ce bâtiment qui est près de nous, l’hôtel des gardes ; il faut que vous trouviez un Hercule pour y faire passer la rivière. Voyez notre état-major ! En France, l’état-major n’est ouvert qu’aux officiers qui ont passé par toutes les épreuves nécessaires. En Angleterre, chacun sait qu’on n’y entre ni par la science ni par la capacité, mais par l’argent et par la parenté. Prenez la liste de nos officiers d’état-major, voyez combien il y en a qui savent le français, combien qui savent tracer une carte ou un plan ! Je gage qu’il n’y en a pas un tiers… Ce n’est pas assez de centraliser vos départemens, il faut réformer votre armée de fond en comble… Comment pouvez-vous avoir des généraux, si la première chose que vous faites est de fermer l’armée à tout homme capable de commander, à moins qu’il ne puisse payer son premier grade avec une somme considérable et acheter successivement toutes ses promotions ? Ainsi le prix officiel, et jamais cela ne se borne là, le prix d’un brevet de lieutenant-colonel de cavalerie est de 6,175 livr. (155,000 francs). Il y a des cas où le prix est allé à 15,000 livres (375,000 francs). Le prix officiel d’un brevet de lieutenant-colonel d’infanterie est de 4,500 livres (112,500 francs). Comment voulez-vous donc que l’on entre dans l’armée, si l’on n’est pas riche ? Je dis que votre système est pourri. Je dis qu’il est injuste de faire retomber sur des ministres la faute d’un système que vous maintenez vous-mêmes. Il est possible que ces vérités vous soient désagréables, mais nous en sommes venus à une crise qui commande qu’on les dise… Il y a pourtant longtemps qu’on les sait, mais les leçons ne nous ont jamais servi. Nous ne songeons à nous amender que lorsque