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dès lors dans une série d’aveux qui ne furent égalés que par ceux qu’il fit encore un mois après. Le duc de Newcastle, ministre de la guerre, vint déclarer que tout le monde s’était trompé sur la portée de l’expédition de Crimée, sur la force de Sébastopol et sur les ressources militaires de la Russie. « Mylords, disait-il, je conviens que les événemens ont tourné d’une manière différente de ce que nous attendions. Assurément nous étions loin de croire que la facilité pour la Russie de renforcer Sébastopol fût aussi grande. Nous savions que la Russie était une grande puissance militaire, mais certainement nous étions loin d’attendre qu’une armée pût se trouver transportée d’Odessa à Sébastopol avec la rapidité merveilleuse qui a marqué ce mouvement… Je puis commettre une imprudence en faisant ces aveux, mais je vous parle avec franchise… » Voilà le langage que tenait le gouvernement anglais, et nous ne citons pas tout. D’après l’enquête qui se poursuit en ce moment même devant une commission de la chambre des communes, il paraît clair qu’en entreprenant l’expédition de Crimée, on croyait l’achever sans coup férir ; c’est pourquoi l’armée anglaise était dépourvue de tout, et n’avait ni médecins, ni ambulances, ni intendance, ni moyens de transport, ni moyens de campement.

À mesure que les difficultés du siège s’étaient révélées, le gouvernement anglais avait envoyé des renforts à son armée ; mais ces renforts étaient des recrues qui ne pouvaient supporter les fatigues d’une campagne, et qui ne faisaient qu’augmenter la mortalité. C’étaient des enfans de dix-sept et dix-huit ans, de ceux à propos desquels Napoléon disait : « Choisissez-moi les vieux ; ne m’envoyez pas des enfans qui consomment mes rations, qui entravent ma marche et qui encombrent mes hôpitaux. » C’est ce qui arrivait avec les recrues anglaises, et lord Raglan fut obligé d’écrire à son gouvernement de ne plus lui en envoyer.

Pour combler les vides, le gouvernement anglais proposa, comme on l’a vu, de recruter des étrangers dans différentes parties de l’Europe. Il comptait surtout sur les Allemands, qui, après avoir fait chez eux leur temps de service, pouvaient être disposés à le continuer pour l’Angleterre, et lui auraient ainsi apporté ce qui lui manquait absolument, des soldats tout faits. Il comptait aussi séduire au passage les milliers d’émigrans qui venaient s’embarquer à Liverpool ou à Londres pour l’Amérique. Il se souvenait également et il disait que, dans toutes les périodes de son histoire, l’Angleterre avait entretenu des troupes étrangères, et avait gagné presque toutes ses victoires avec des auxiliaires de toutes les nations. Lord John Russell faisait à cette occasion une grande accumulation d’antécédens historiques, et on invoquait, comme toujours, le