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auteur, et je ne puis décidément pas admettre que des enfans de trente ans et des jeunes gens de quarante-cinq, même de cinquante osent assumer sur eux la responsabilité du mariage, outre que cela augmente démesurément la population et nous conduit à un état de choses qu’il est horrible de contempler. Ce n’est qu’à mon âge qu’un homme peut honorablement se marier, et dans le fait, docteur, je pense à me marier. Mistress Standish s’y opposera, je le sais bien ; mais j’ai arrêté ma résolution, surtout depuis que j’ai lu ces inappréciables vieux livres. Comme je vis très solitaire, j’ai besoin d’un confident. Que pensez-vous de mon projet ?

Je répondis que, comme le disait fort bien le savant Godolphin, il était arrivé à cet âge mûr où son jugement avait toute sa solidité ; que, pour moi, j’avais toujours été partisan du mariage ; qu’il valait mieux se marier tard que jamais, et que tout ce que je pourrais faire pour avancer cet heureux jour de son mariage, je le ferais avec plaisir ; puis je lui souhaitai le bonjour, et je sortis.

Lorsque je revis le vieux gentleman, il était débarrassé de sa toux. Je m’aperçus que j’avais beaucoup gagné dans son estime, et qu’en dépit des grognemens de la femme de charge, je l’avais remplacée en partie dans sa confiance. Aussitôt que je fus assis, il me dit : — Voici votre salaire, docteur, Pas un mot. Je sais que c’est beaucoup d’argent pour le petit service que vous m’avez rendu ; mais pas d’observations, prenez et restez tranquille. Je désire que vous voyiez la jeune dame dont je veux faire ma femme.

— La jeune dame ! m’écriai-je avec étonnement et sans songer à mes paroles.

— Hum ! cet homme est fou, il n’a pas le bon sens que je lui prêtais gratuitement. Et je vous prie, monsieur, pourquoi pas la jeune dame ? Le savant Godolphin ne dit-il pas : « Et de même que l’homme doit être robuste, avenant et avancé en âge, afin que son esprit soit libre des vaines pensées, de même la fiancée doit être jeune, belle et pleine de grâces extérieures ? » Répondez à cela, monsieur.

Je répondis que sans aucun doute il était dans le vrai, que j’avais une foi entière dans la sagesse du savant, et je réussis ainsi à apaiser sa colère. Un coup fut frappé à la porte, un pas léger qui se fit entendre sur l’escalier annonça l’approche d’une femme, et une jeune fille de vingt et un ans tout au plus entra dans la chambre avec la femme de charge. Elle rapportait au vieux gentleman un gilet de soie qu’il lui avait donné à broder, car, bien que la mode des gilets brodés fut passée, le vieux gentleman persistait à en porter encore.

La jeune fille, je l’appris bientôt, n’était autre que la fiancée de mon vénérable client. C’était une simple ouvrière que mistress Standish, dans la simplicité de son cœur, avait choisie pour la charger