Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 9.djvu/1247

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Méditerranée au milieu de leurs avantages; mais ce ne doit point être pour eux une raison d’ambitionner, comme les Romains, d’appeler cette mer mare nostrum. Il vaut mieux pour eux, en l’ouvrant à l’est sur un autre hémisphère, en faire le rendez-vous général de tout l’ancien monde, et la France, qui doit s’attacher à les réunir en une grande famille politique, fortifiera des liens déjà puissans en mettant, dans cette circonstance, tout son pouvoir au service de la cause commune.


IV.

Il était digne du génie de Leibnitz de comprendre la portée, et de la grandeur de Louis XIV de déterminer le rétablissement de la navigation ouverte par les Pharaons et interdite par Almansour. L’idée de joindre la Mer-Rouge à la Méditerranée fut l’objet d’un mémoire que le géomètre adressa au monarque, et de démarches infructueuses auxquelles le marquis de Nointel, notre ambassadeur à Constantinople, se livra de 1670 à 1678. Le baron de Tott se crut, quatre-vingts ans plus tard, à la veille d’être plus heureux; mais les encouragemens qu’il reçut du sultan Moustapha III trompèrent son attente. A la fin du siècle dernier, notre expédition d’Egypte s’apprêtait à rouvrir une route depuis si longtemps fermée : le général Bonaparte fit rédiger un projet complet de recreusement du canal des anciens, et il laissa au général Kléber, dont ce fut une des plus chères préoccupations, le soin de l’exécuter ; la fortune de l’un et la mort de l’autre firent encore une fois rentrer l’entreprise dans le néant.

Le projet, qui depuis Louis XIV n’avait jamais été tout à fait perdu de vue en France, a été repris sur les lieux, il y a dix ans, par un de nos compatriotes, M. Enfantin. Il s’est formé sous son inspiration une société d’études du percement de l’isthme de Suez, composée de trois groupes, l’un allemand en tête duquel étaient M. de Bruck, le hardi promoteur de la fortune du port de Trieste, récemment appelé par l’empereur François-Joseph à la restauration des finances de l’Autriche, et M. Negrelli, le plus célèbre ingénieur de l’empire; l’autre anglais, dirigé par M. Stephenson, dont les travaux sont connus de toute l’Europe, et le troisième français, dont l’organe a été l’habile constructeur du chemin de fer de Lyon à la Méditerranée, M. Paulin Talabot. Les trois groupes ont commencé par se mettre avec ardeur à l’exploration dont ils s’étaient partagé le travail; mais le groupe anglais n’a pas tardé à manifester son éloignement pour l’ouverture d’un canal et sa préférence pour celle d’un chemin de fer. Des dispositions, telles qu’on pouvait les attendre des hommes éminens