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quelque savant du XVIe siècle. Un singulier livre pour intéresser un célibataire de soixante ans ! pensai-je. Je me levai en lui disant que je lui enverrais une médecine qui le soulagerait, et que dans quelques jours il serait guéri.

Je n’allai pas le voir le lendemain, mais le surlendemain j’entrai en faisant ma tournée ; je n’attendis pas qu’on m’eût annoncé, et je montai tout droit à l’appartement de mon malade sans faire attention aux grognemens et aux murmures de la vieille gouvernante. Je frappai doucement à la porte de la chambre, et l’aigre voix qui m’était si connue cria : Entrez.

— Ah ! vous voilà. Ne m’envoyez plus de vos remèdes de charlatan ; eh ! jetez la drogue par la fenêtre, si vous en avez apporté quelqu’une.

— Je suis désolé, lui dis-je, que la médecine que je vous ai envoyée ne vous ait pas soulagé.

— Est-ce que les drogues d’un médecin ont jamais soulagé quelqu’un ?

— L’avez-vous prise dans une infusion de graine de lin ? répondis-je.

— Infusion de graine de lin ? Après ! charlatanisme ! je n’ai pas pris la drogue du tout. Voici les bouteilles ; le contenu a été vidé dans le chaudron de vaisselle.

Quoique ennuyé de l’entêtement du vieux gentleman et du sans-gêne avec lequel il avait disposé de ma médecine, je ne pus m’empêcher de sourire en songeant à l’idée bizarre du malade, se plaignant qu’un remède ainsi employé ne lui eût fait aucun bien. Quoique la toux n’eût pas un caractère dangereux, elle pouvait devenir telle cependant, si elle n’était pas soignée. Je résolus donc d’éveiller ses craintes, et je lui dis que je ne serais pas responsable des conséquences, s’il persistait à refuser les remèdes nécessaires et à repousser mes conseils.

— Eh quoi ! dit-il, les conséquences ! Quelles conséquences ? Je tousse, voilà tout ; il n’y a pas de danger. Je suis sain et solide ; je n’ai que soixante-quatre ans, et je n’ai jamais eu de toux ni une maladie d’une heure jusqu’à ce jour.

— Il n’y a certainement pas de danger pour le moment ; mais c’est précisément parce que vous avez une constitution robuste que vous êtes insouciant, et je n’ai pas besoin de vous apprendre qu’une toux négligée est toujours dangereuse.

— Bien, répondit mon malade. Envoyez-moi de nouveau votre remède. Cette fois, mistress Standish n’y touchera pas ; je ferai comme je l’entendrai.

Je souhaitai le bonsoir au vieux gentleman, et j’allais me retirer