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du rivage. Il reste beaucoup à apprendre cependant sur l’hydrographie de ce point, et l’atterrage peut présenter des ressources que nous ignorons. On se souvient encore en Égypte comment, en 1798, la flotte de l’amiral Brueys resta en dehors de la rade d’Alexandrie, où elle aurait été en parfaite sûreté, parce qu’on crut la passe impraticable aux vaisseaux de ligne. Le contraire ne fut constaté qu’après la bataille d’Aboukir, et cette singularité coûta toute une flotte à la France. Il ne faut donc pas que notre ignorance se hâte de désespérer des ressources de l’atterrage de Suez; une étude complète en peut mettre en relief d’importantes, et l’aspect des ruines nombreuses qui, disséminées sur la côte, témoignent de l’existence passée de populations qui n’ont pu vivre que de la navigation, est à lui seul un encouragement aux recherches. Sans risquer de suppositions hasardeuses, il est déjà certain que, lorsqu’au lieu de s’amortir sur le rivage les marées pénétreront par un large canal en arrière du port actuel et reflueront fortifiées par le courant venu des lacs amers, leurs oscillations amélioreront notablement l’atterrage. Ce sera assez pour les caboteurs de la Mer-Rouge, mais non pour les navires puissans qui font les traversées de l’Europe aux Grandes-Indes. A défaut de solutions plus économiques de la difficulté, l’anse abritée qui s’arrondit au sud-ouest de Suez en offrirait une dans un mouillage où les sondages du commander Moresby, de la marine indo-britannique, signalent des profondeurs de 10 à 12 mètres. M. Talabot et M. Negrelli ont vu dans ce voisinage et dans la possibilité de relier le mouillage au débouché du canal un moyen coûteux, mais sûr, de corriger les vices de l’atterrage, et ce n’est point encore là le dernier mot de l’hydrographie.

Le canal sera donc accessible, du côté de la Méditerranée comme du côté de la Mer-Rouge, aux plus grands bâtimens. Les dimensions de ceux-ci doivent dès lors être la règle unique de celles qui seront données aux voies intérieures de la navigation. C’est ainsi que paraissent avoir calculé les anciens, et les profils de leurs travaux sont curieux à constater à cause de leur rapport avec la nature de la navigation qu’ils prétendaient desservir. La largeur du canal était de 100 coudées (52m, 70) suivant Strabon et de 100 pieds (29m, 45) suivant Pline, ce qui n’a rien de contradictoire, car ces mesures peuvent s’appliquer à des points différens de la ligne. Quant à la profondeur, nous savons trop peu ce qu’étaient, il y a deux mille trois cents ans, les trirèmes pour pouvoir rien conclure du témoignage d’Hérodote; Pline la porte à 30 pieds (8M, 835), ce qui paraît beaucoup au-delà de ce qu’exigeait le tonnage des navires de son temps. Le canal admettait, suivant Strabon, les bâtimens appelés μυριοφοροι (muriophoroi), dont le tirant d’eau pouvait être de près de 4 mètres. Lorsque l’empereur Adrien restaura le canal, il lui donna le