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la côte par les vents étésiens, dont la constance périodique transporte vers les montagnes de l’Abyssinie les vapeurs de la Méditerranée; sans cesse épaissis par de nouvelles déjections, ils finissent par descendre lentement et par se condenser en bancs d’autant plus dangereux, que la boue liquide qui les couvre est trop lourde pour rejaillir en brisans qui avertissent le navigateur. La succession des siècles a consolidé les envasemens dans le voisinage immédiat de la côte, et on s’explique ainsi comment vers Péluse la pente du talus sous-marin n’est pas d’un millimètre par mètre. Il faudrait donc, pour trouver une profondeur d’eau suffisante, transporter l’atterrage dans une nouvelle Venise, fondée à 10 ou 12 kilomètres de la côte, et, pour réunir le port au canal territorial, creuser au travers de cette mer de fange, molem liquidam camposque natantes, un chenal dont l’entretien serait impossible; les apports intarissables de vase dont l’état actuel de la côte est l’effet continueraient imperturbablement leur œuvre et détruiraient souvent en une heure les travaux de toute une année. Quiconque a donné dans sa vie un moment d’attention aux conditions les plus élémentaires de l’établissement et du maintien des travaux hydrauliques renoncera sans regret et sans hésitation à la pensée de recevoir des navires au milieu des envasemens du Nil et de percer l’isthme de Suez dans sa moindre largeur.

Le courant qui pousse vers l’est les déjections du Nil préserve de leurs atteintes l’atterrage d’Alexandrie; il n’y porte que des eaux limpides et y maintient une profondeur immuable. Cette circonstance naturelle, appliquée à la configuration du rivage, a de tout temps fait de la rade d’Alexandrie le principal point d’abordage de l’Egypte : il ne saurait y avoir ailleurs de véritable établissement maritime, et les raisons qu’avait Alexandre d’assigner cette place à la capitale de l’ancien monde sont celles qui doivent y fixer l’embouchure septentrionale du canal de l’Europe aux Grandes-Indes.

Suez et Alexandrie étant les vrais débouchés du canal, le tracé intermédiaire est déterminé par l’inclinaison et les ondulations du sol de la Basse-Egypte. Le Nil devant le Caire est à 14 mètres au-dessus du niveau de la mer; ses crues ajoutent à cette hauteur de 5 à 9 mètres[1], et, dans ses phases de croissance et de décroissance, il domine de 8 à 17 mètres le banc tertiaire qui sépare le bassin du golfe Arabique de celui de la Méditerranée : on y peut donc conduire ses eaux, à la condition d’en placer la dérivation à une hauteur convenable. Quant à la branche d’Alexandrie, il est superflu de remarquer que, côtoyant le fleuve et creusée dans ses

  1. Le Nil commence à croître dans la seconde quinzaine de juin et continue jusqu’à la fin de septembre, puis il décroît jusqu’à la fin de mai. Les crues qui donnent l’abondance sont celles de 7m à 7m, 50. Au-dessous de 6m et au-dessus de 7m, 50 il y a pénurie, disette et quelquefois famine.