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de moindre déblai, on trouve, à partir de Suez, 22 kilomètres d’alluvions marines très modernes, et au nord de celles-ci la cuvette aujourd’hui vide des lacs amers, longue de 37 kilomètres. Cette cavité, profonde de 10 à 12 mètres, est un ancien prolongement du golfe de Suez; elle s’arrête à un banc tertiaire où domine le gypse, et qui forme entre le bassin hydraulique de la Mer-Rouge et celui de la Méditerranée un seuil dont la largeur est de 41 kilomètres et l’élévation au-dessus du niveau de la mer d’environ 6 mètres. Le revers septentrional de ce banc est chaussé par les alluvions du Nil et baigné par les eaux moitié fluviales moitié salées des lagunes de Ballah et du lac Menzaleh.

A l’aspect de ce relief du sol, les géologues peuvent conjecturer sans trop de témérité qu’il fut un temps où la communication entre les eaux des deux mers n’était point interceptée par le soulèvement gypseux, et la première idée des ingénieurs est de la rétablir en fendant le seuil par une tranchée dont les dimensions n’auraient rien d’effrayant pour des esprits familiarisés par les travaux des chemins de fer avec des hardiesses de cette nature. Néanmoins, quand il s’agit d’ouvrir des voies intérieures à la navigation maritime, la facilité des atterrages est la première des conditions à remplir, et la nature l’a tout à fait refusée au rivage de Péluse. Le courant qui fait le tour de la Méditerranée marche le long de la côte d’Afrique, de l’ouest à l’est, et dépose dans cette direction les masses de limon que les crues du Nil jettent sur son passage. Le volume de ces masses varie suivant les saisons, suivant les années; mais peu importe que par la multitude des circonstances naturelles qui affectent le régime hydraulique auquel il est subordonné il échappe à toute évaluation précise; il suffit, pour donner une idée de son indomptable puissance, de rappeler que le Delta est, suivant une expression d’Hérodote, un présent du Nil, et que, dans ses grandes crues, ce fleuve débite par seconde devant le Caire environ 10,000 mètres cubes d’eau bourbeuse. Les nuages terreux qu’il forme dans la mer en s’y déchargeant, longtemps ballottés par les courans et par les vents, se promènent à des distances énormes[1]; mais ils sont ramenés vers

  1. Hérodote rapporte (Eut. 5) que la sonde, jetée au large des bouches du Nil, ne rapporte que de la vase. A deux mille deux cent cinquante ans de distance, M. l’amiral Smyth, dont les lecteurs de la Revue connaissent les beaux travaux hydrographiques sur la Méditerranée, rappelle que, le 26 juillet 1801, la frégate Pomulus, allant d’Acre à Alexandrie et se trouvant hors de vue de la terre, sur un point où les cartes marines indiquaient une assez grande profondeur, l’équipage fut tout à coup effrayé par le cri ; Half four! (quatre brasses et demie !) La sonde s’était arrêtée sur un banc de vase voyageuse tellement épais, qu’elle n’avait pu le pénétrer. La frégate, lancée, entra dans le banc, le fendit et le traversa. Ces bancs se fixent à la longue; mais comme ils s’accumulent sans cesse, il est impossible de fonder aucun travail durable dans les régions que le courant du littoral livre à leurs envahissemens.