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jeunes filles aurait beaucoup à souffrir de la réunion des deux sexes au fond de ces terriers humains. Ce qui confirme de tels rapports, c’est que dès qu’une fille se marie, elle ne descend plus dans la fosse : l’homme redoute pour elle la nuit, mauvaise conseillère. Si quelques-unes continuent de traiter le charbon, c’est au jour; mais la plupart d’entre elles deviennent de bonnes et sages mères avec des enfans plein les bras; elles restent à la maison pendant que le mari est dans la mine; elles ont des poules, une chèvre, quelquefois une vache, pour laquelle on va faire de l’herbe le long des chemins, quand les chemins sont verts. Lorsque l’ouvrier mineur revient de la fosse, le corps brisé, la figure noire, l’âme triste, il est peu dans les conditions favorables à l’étude ou à la réflexion. La seule faculté que les ténèbres de la mine semblent respecter, c’est la faculté musicale : comme ces oiseaux en cage auxquels, par un raffinement de cruauté, on crève ici les yeux afin de développer chez eux l’instinct du chant, les ouvriers mineurs trouvent peut-être dans la privation volontaire de la lumière du jour un motif qui les excite à cultiver l’oreille et la voix. Il existe dans les villages du Hainaut et de la province de Liège des sociétés de chant, d’harmonie et de fanfare, presque exclusivement composées de charbonniers; quelques-unes de ces sociétés exécutent les jours de fête des morceaux d’ensemble avec un goût particulier qui étonne : on dirait que ces hommes, condamnés pendant la semaine à l’obscurité de la mine, cherchent une diversion et, pour ainsi dire, un soleil dans la musique.

En Belgique, la classe des ouvriers mineurs est très nombreuse : on en compte maintenant 65,000, ce qui représente plus de 300,000 personnes subsistant de l’industrie houillère. Dans le Borinage, il existe des villages de 11 et 12,000 habitans, où sur 10 hommes il y en a 1 qui n’est pas charbonnier. Une condition toute particulière résulte pour ces nombreuses familles des dangers qui entourent une industrie qualifiée de meurtrière dans les rapports du gouvernement. La vie des hommes, des enfans, des femmes qui travaillent dans l’intérieur des mines est une vie précaire et menacée. En Belgique, de 1841 à 1850, les procès-verbaux officiels ont constaté 1,750 accidens et 2,521 victimes, dont 1,366 ouvriers tués et 1,155 blessés. Encore n’est-il fait mention dans les statistiques et les autres documens que des blessures graves : quant aux blessures légères, on ne les compte pas. Ces accidens tombent plus souvent sur les ouvriers de passage, sur les étrangers, comme on les appelle, que sur les mineurs de profession. Les meilleurs et les plus habiles n’en sont pourtant pas exempts. Le travail à la tâche est plus en usage dans les mines belges que le travail à la journée, surtout pour les bons ouvriers; ce mode de rémunération est peut-être le plus juste, mais