Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 9.djvu/1196

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

valeur et d’une épaisseur remarquables. Les mêmes faits se sont reproduits en Belgique : on raconte à ce sujet les histoires les plus tragiques et les plus positives. Le sort des chercheurs de houille a été rarement heureux : les Christophe Colomb de ce nouveau monde souterrain ont eu plus d’une fois à souffrir les colères de leur équipage révolté; leurs associés ne voulaient plus les suivre; les élémens semblaient se conjurer contre eux; la boussole des connaissances acquises ne marquait plus, et l’on eût dit que l’ordre de la nature était renversé. On en cite qui, ruinés, perdus, moqués, sont alors descendus pour travailler eux-mêmes au fond de la mine, se faisant ouvriers avec les ouvriers, et cherchant à leur inspirer une confiance qui s’évanouissait à chaque obstacle. Ces mêmes houillères, si longtemps rebelles, donnent aujourd’hui des millions à ceux qui les exploitent.

Nous avons choisi les mines de Mariemont pour point de départ de nos études : il convient maintenant de compléter le tableau de l’industrie houillère par quelques traits empruntés à d’autres charbonnages de la Belgique. — Le jour où nous visitâmes les gîtes carbonifères de Charleroi, il neigeait, et le paysage était noir sous la neige. La boue de Charleroi et des environs est célèbre dans le pays wallon : c’est une boue sui generis, dans laquelle ont, pour ainsi dire, déteint toutes les industries à hauts-fourneaux. Nous avions laissé à notre droite la fosse de Marchiennes, et nous étions au cœur du bassin houiller. Le plateau vers lequel nous marchions touche aux rivages de la Sambre, au chemin de fer de l’état et au canal de Charleroi, trois grandes voies de communication. Devant nous s’élevaient les fortifications de Charleroi lui-même et plusieurs grandes cheminées de brique noircies par la poussière du charbon : la vue de ces houillères, au-dessus desquelles fument lentement les cheminées des machines, s’accorde bien avec l’aspect sourcilleux d’une ville de guerre. Là rien n’est orné; nulle architecture : nous avions devant les yeux la production industrielle dans toute la nudité, dans toute la sécheresse du fait : vue ainsi, elle n’en est peut-être que plus brutalement grande. Cinquante ou soixante puits inactifs et rendus plus tristes encore par leur abandon, cinq autres puits desservis par des machines, dans lesquels un système d’économie a concentré tout le travail d’extraction, et qui tous ensemble vomissent par jour dix ou douze mille hectolitres de houille; un concours de deux mille ouvriers, dont les uns travaillent au jour et les autres dans l’intérieur de la mine; un transport journalier de charbon au rivage qui exige le service de cent chevaux et qui représente moins de la moitié du charbon extrait; des galeries souterraines qui ont deux kilomètres d’étendue : tel est en quelque sorte le côté pittoresque et théâtral