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l’on irait boire son verre de faro le soir; «de cette manière-là, ajoutait un contre-maître auquel ce rêve souriait presque, on ne remonterait au jour qu’une fois par semaine, le dimanche matin, pour aller à la messe. »

Il y avait cinq heures et demie que nous étions dans la mine, quand mon guide m’avertit en me présentant sa montre : au fond de ces lieux où le soleil ne marque pas, j’avais oublié le temps. Il s’agissait maintenant de retrouver notre route : il est difficile de ne point se représenter seul, perdu, dans ce labyrinthe obscur où s’entremêlent à diverses profondeurs trois ou quatre cents galeries, où s’ouvrent des puits intérieurs, où se précipitent des escaliers et des échelles. Mon cicérone, lui, s’amusait de cette idée, tant la mine, était pour lui un être de connaissance; il s’y dirigeait, me disait-il, sans lampe, et à l’aide de ces yeux imperturbables que donne, au milieu d’un épais brouillard, la mémoire des lieux souvent pratiqués. L’utilité du chapeau de cuir, dont on m’avait affublé le crâne, se faisait sentir sous ces voûtes passes, transversalement coupées par des pièces de bois contre lesquelles la tête se heurte presque à chaque pas. Cette excursion à des courbé est fatigante pour celui qui n’en a point l’habitude. Nous remontâmes. Peu à peu nous vîmes une clarté blanchâtre filtrer à travers les ténèbres du puits : nous approchions de la surface. Il en est de la lumière comme de la patrie et de la liberté : pour savoir ce qu’elles valent, il faut les retrouver après les avoir perdues. Oh ! comme en sortant de ces lieux souterrains et taciturnes, on comprend bien ce vers par lequel Dante termine son poème de l’Enfer :

E quindi uscimmo a riveder le stelle !

Ce n’était point un ciel semé d’étoiles que nous retrouvâmes, c’était un beau et bon soleil de janvier, qui avait l’éclat d’un soleil de printemps, et qui avait mis à se dégager de son brouillard matinal le temps employé par nous à chercher la nuit.

Les travaux de la mine se poursuivent au jour : des hommes, des enfans, des femmes s’occupent autour des puits d’extraction à trier, à ranger, à parer le charbon de terre. On distingue dans le commerce trois qualités de houille : les grasses, les demi-grasses et les maigres. Ces caractères, fondés sur la nature du combustible minéral, correspondent à divers usages industriels. On évalue à 1,300 le nombre des ouvriers qui travaillent dans l’intérieur de la mine de Mariemont, et à 4 ou 500 celui des ouvriers qui travaillent au jour; c’est donc environ 17 ou 1,800 personnes que cette seule exploitation fait vivre. Si, dans l’obscurité de la mine, nous avions rencontré des visages tristes et silencieux, nous retrouvâmes à la lumière des