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la conscience a, pour ainsi dire, apaisé l’horreur vengeresse qui s’attachait à la voie parricide par l’influence miséricordieuse de son nom. Dans cet endroit maudit, sur lequel il semble qu’encore aujourd’hui la justice des siècles fait planer la solitude et l’abandon, s’élève une colonne de granit surmontée d’une croix, érigée à je ne sais quelle intention. Là est écrit deux fois sous une couronne : Humilitas, caritas. Est-ce une leçon adressée à Tullie ?

Au règne populaire de Servius se rapporte l’enceinte élevée autour de la Rome d’alors. Elle fut commencée par Tarquin l’Ancien et terminée par Tarquin le Superbe. On peut la suivre encore, et en plusieurs endroits des parties très bien conservées paraissent au jour. La construction de ce mur est semblable à celle qu’on remarque dans les anciennes villes d’Étrurie; c’est l’œuvre des trois derniers rois étrusques. Le nom de Servius y est resté plus particulièrement attaché, parce que ce nom était le plus aimé. Non contens d’entourer ainsi Rome d’un mur fortifié, les rois étrusques voulurent la défendre du côté par où elle était le plus attaquable, du côté de l’est, où les collines formaient une continuation du plateau de la campagne romaine et ne le dominaient nulle part. Servius Tullius, c’est-à-dire Mastarna, est désigné comme celui de ces rois qui fut l’auteur du rempart formé d’un mur et d’un fossé, et qui s’étendait de ce côté. Sur plusieurs points, ce rempart est encore visible aujourd’hui. Il paraît que le fossé avait cent pieds de largeur et trente pieds de profondeur.

L’étendue totale de ce qu’on appelle l’enceinte de Servius, et qui, en réalité, était l’enceinte de Rome sous les rois étrusques, a été mesurée : elle embrassait un espace de huit à neuf milles. C’était la grandeur d’Athènes; or, à Athènes, on comptait quatre cent mille habitans, sur lesquels, il est vrai, plus de trois cent cinquante mille esclaves. Rome aurait donc pu contenir sous ses derniers rois le même nombre d’habitans. Aujourd’hui elle n’en renferme guère plus de cent mille.

Je veux bien que tout l’espace enceint de murs ne fût point occupé; il n’en reste pas moins une ville dont la population devait être considérable, ce qui s’accorde d’ailleurs avec l’immensité du cirque et la grandeur des égouts de Tarquin. Le spectacle de cette enceinte et des autres travaux exécutés sous les rois étrusques frappe vivement, quand de là on Porte les yeux sur l’étroit contour de la cité de Romulus, indiqué par la circonférence du Palatin. On peut faire en moins d’une heure le tour du Palatin. Pour faire le tour de l’enceinte de Servius, il faudrait une demi-journée.

Ici encore ce qui frappe les yeux porte l’esprit à réfléchir et à se poser une question qu’il ne se poserait peut-être pas, si elle ne lui était suggérée fortement par l’intuition des lieux.