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qu’elle avait été contrainte de subir en se mésalliant. On s’explique ainsi le rôle politique attribué à Servius Tullius, qui, chef habile de la démocratie, parvint à la contenter en admettant tout le monde au vote populaire, et en même temps sut tempérer l’action de la multitude, non par le privilège de la race, mais par la prépondérance de la propriété. C’était la meilleure manière de servir la cause des plébéiens. On sait, depuis Niebuhr, que ce mot dans l’origine ne désignait point les pauvres, mais ceux qui, admis à vivre librement dans Rome, ne participaient pas à tous les droits des anciennes familles. Les plébéiens, c’étaient surtout les étrangers, et dans leur sein étaient des personnages riches et considérables. Servius abolit l’inégalité inflexible de la race et la remplaça par l’inégalité mobile du cens et de la fortune. Il fut donc le chef intelligent des intérêts plébéiens.

Si l’on s’étonne de me voir attribuer avec l’histoire tant de sagesse politique à celui que j’ai montré tout à l’heure comme un condottiere et presque un bandit, je ferai observer qu’il y a des exemples de ces hommes qui, dans des temps de guerre et de barbarie, après avoir mené la vie de brigands, finissent par mériter justement le renom de législateurs. Rollon était un pirate scandinave, et, dès qu’il fut possesseur de la Neustrie, il y fit régner la justice et les lois.

Tel fut le rôle de Mastarna. Tarquin, étranger comme lui, mais étranger opulent et de race illustre, avait dû naturellement appuyer son pouvoir sur les familles opulentes et les races nobles. Mastarna, fils de ses œuvres (d’où vient peut-être aussi l’opinion que Servius était né d’une esclave), dut se faire l’appui de ceux que le privilège opprimait. Il conquit pour eux les droits que les privilégiés leur refusaient. On voit aujourd’hui très nettement dans un enfoncement, entre le Quirinal et le Viminal, l’endroit où était le Vicus Patricius, la rue qu’il força les patriciens d’habiter pour leur ôter l’avantage dangereux des positions élevées. Les familles atteintes dans leur orgueil et dans leurs droits ne lui pardonnèrent pas, et leur haine implacable le fit périr. L’excès de cette fureur est représenté par le crime atroce de Tullie, qui, admise dans la famille des Tarquins; comme il arrive parfois en de telles alliances, en épousa l’orgueil et en embrassa la cause au point, dit l’histoire, j’espère la légende, de faire passer, pour aller plus vite régner, son chariot sur le corps à peine expiré de son père.

L’exécration des siècles a perpétué la tradition de ce fait monstrueux. On sait où était la Voie Scélérate qui le vit s’accomplir. C’est une montée de l’Esquilin à laquelle on arrive aujourd’hui par la rue de Saint-François-de-Paule. Le pieux ermite que Louis XI fit venir pour tâcher de calmer les terreurs qui tenaient chez lui la place de