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héroïque et presque barbare est de la date de l’événement ; — il a la grandeur, la rudesse et la simplicité des vieux tombeaux étrusques, il aurait pu être prononcé dans cette campagne sauvage en présence de cet horizon sévère et sublime comme le génie de Corneille.

Ancus Martius, le second roi sabin, étant dépossédé de la prison Mamertine, aucun monument ne rappelle sa mémoire. Il passe pour avoir fortifié le Janicule, et Nibby a cru reconnaître en certains endroits comment la colline a été taillée pour servir de forteresse. Ce serait le seul vestige visible du règne d’Ancus Martius.

Après le roi sabin, on place un roi dont la patrie n’est pas douteuse, le riche lucumon d’Étrurie, fils du Corinthien Démarate et le premier des Tarquins. À ce moment commence la grandeur de Rome, et cette grandeur est tout étrusque. Alors fut exécuté ce vaste travail de dessèchement et d’assainissement, au moyen d’un système de conduits souterrains, d’une longueur de 2,500 pieds, destinés à faire écouler dans le Tibre les eaux qui remplissaient les bas-fonds entre le Palatin et le Capitole et à dessécher le lieu où depuis fut le Forum. Ainsi la puissance de la tyrannie préparait un théâtre aux luttes de la liberté.

Pline s’étonnait déjà de la solidité de ces conduits souterrains que sept siècles, disait-il, n’avaient pu entamer ; annis prope septingentis inexpugnabiles. Depuis Pline, plus de dix-huit cents ans se sont écoulés, et la portion principale de cette œuvre énorme, le grand égout, cloaca maxima, est aussi intact que le premier jour. Il sert encore à l’écoulement des eaux. Quand, pénétrant sous sa triple voûte, on considère ce prodigieux travail, on est stupéfait en présence de tant de solidité et de grandeur : la largeur est de 4m 1/2 ; la hauteur, de 10 mètres au-dessus du niveau du Tibre. Lorsque les eaux sont basses, on peut y entrer en bateau par le fleuve et y naviguer sous terre, comme fit Agrippa. On ne croirait pas qu’il fut possible d’autant admirer un égout ; mais c’est un égout monumental, et je ne sais si aucun ouvrage du même genre peut lui être comparé. On reconnaît là le génie des Étrusques, qui avaient ailleurs exécuté de grands travaux pour dessécher le delta du Pô. Cette architecture offre les caractères d’utilité, de solidité, de puissance, qui seront les caractères de l’architecture romaine. Ces traits distinctifs sont déjà marqués dans l’œuvre des rois étrusques. Les Romains ne feront jamais rien de plus durable que l’égout de Tarquin.

À Athènes, les plus anciens monumens sont de beaux temples, — en Égypte des tombeaux, les pyramides, — à Rome une prison et un égout. La première pensée des Athéniens fut pour le beau, des Égyptiens pour le funèbre, des Romains pour le nécessaire.

Un autre monument donne une haute idée de ce qu’était Rome sous les rois étrusques : c’est le grand cirque (circus maximus). Il