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à leur fin, la veuve me remettra sur mes jambes, mon vieux camarade.

— Vous plaisantez ! répliquai-je. Quel âge avez-vous ?

— Quel âge ? Voyons un peu. Mon cher ami, allez vers ce casier et prenez cette Bible qui appartenait à ma mère. Je suis horriblement fatigué le soir et je ne puis me remuer, Si vous voulez savoir mon âge, vous trouverez à la première page mon nom et la date de ma naissance. Je ne sais pas mon âge à un ou deux ans près, mais je me fais vieux.

Je me levai et je lui portai la Bible.

— Mon cher ami, continua-t-il, regardez vous-même, je vous en prie. Vous voyez, si je retire ma pipe de la bouche, elle va s’éteindre, et c’est fort ennuyeux,

Je regardai à la première page de la Bible. Edouard Marsden était dans sa vingt-cinquième année.

— Je vous l’ai bien dit, je me fais vieux. J’ai trouvé ce matin deux cheveux blancs, et j’en ai fait un holocauste à la déesse de la vanité.

— Vous ne parlez pas sérieusement lorsque vous dites que vous allez vous marier à une femme de quarante ans ?

— Mon cher ami, si nous disions quarante-cinq, nous serions plus près de la vérité. Je ne suis même pas bien sûr que la belle dame n’ait pas le demi-siècle ; mais qu’est-ce que cela fait ? Elle sera à la fois une mère et une femme, Et puis, voyez-vous, j’aurai bientôt besoin d’argent, et il faut que j’aie de l’argent d’une façon ou d’une autre.

— Mais avec votre manière de vivre combien dureront vingt mille dollars ?

— Oh ! répondit-il, pas longtemps si je continuais à vivre comme je le fais maintenant ; mais, comme dit le vieux Jack Falstaff, « je cesserai de boire et je vivrai proprement » lorsque je goûterai les joies du mariage. En outre, mon ami, je ne vis pas d’une manière aussi extravagante que vous pouvez le supposer : je bois peu, je ne joue pas, je ne suis point débauché ; tous mes plaisirs sont ceux d’un gentleman. Je vais donc me marier comme je vous dis. Cette intéressante cérémonie aura lieu la semaine prochaine, et je vous enverrai une carte d’invitation. Ainsi tenez-vous prêt. Et maintenant en voilà assez sur ce sujet ; prenez un cigare et un verre de vin, et causons du vieux temps.

Voyant qu’il n’y avait pas à raisonner avec lui, je me conformai à ses désirs, et, après avoir causé avec lui de notre vie de collège et de nos vieux camarades pendant une heure ou deux, je retournai chez moi. La semaine suivante, je reçus une invitation au mariage,