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Tous ceux qui étaient dans la chambre fondaient en larmes, et la mère, qui n’avait retrouvé son fils, depuis longtemps absent, que pour le voir étendu sur son lit de mort, était inconsolable.

George implora son pardon. — Vivez, George ; vivez, mon fils chéri, et tout se réparera encore, lui dit en sanglotant la pauvre mère. Miss P… était agenouillée auprès du lit, et pleurait avec tant de force, que je craignis les effets d’une telle scène sur le mourant. Je fis sortir les deux femmes de la chambre, non sans difficulté. La mère me demanda avec un regard plein d’anxiété s’il n’y avait plus d’espoir. Je ne pouvais lui donner aucune consolation ; je la suppliai de ne pas agiter son fils par le spectacle de sa douleur, et je m’en retournai avec miss P…, qui paraissait aussi douloureusement affectée que la mère elle-même.

Le lendemain, je me rendis au logement de Harley, et lorsque j’entrai dans la maison, je trouvai tout le monde dans l’agitation. — Qu’est-ce que cela veut dire ? demandai-je. Est-ce que M. de Moulins est mort ? — On ne le connaissait que sous ce nom.

— Il est mort, monsieur, répondit-on, et, hélas ! mort de sa propre main.

— Grands dieux ! Que voulez-vous dire ?

— M. de Moulins s’est suicidé.

Je montai précipitamment pour savoir si on ne m’avait pas trompé. Le fait n’était que trop vrai. George avait été saisi la nuit d’un nouvel accès de délire, s’était levé, et avait ouvert un secrétaire où il avait caché deux pistolets. Sa mère, entendant le bruit de ses pas, s’était précipitée dans la chambre, elle était arrivée juste à temps pour voir son fils s’appliquer un des pistolets sur le front et se faire sauter la cervelle. Depuis lors, la pauvre femme était évanouie : je parvins cependant à la calmer ; elle suivit le convoi de son fils, et puis s’en retourna tristement à Concord. Miss P…, qui était en réalité la cause de la mort du pauvre George, parut inconsolable. Elle ne joua plus au théâtre de New-York, et quelques jours après les funérailles, s’en alla à Baltimore. Je n’entendis plus parler d’elle pendant quelques mois ; mais un matin, en ouvrant par hasard un journal de Baltimore, je tombai sur l’avis suivant : « La belle et intelligente miss P…, qui durant les deux derniers mois a fait l’admiration des citoyens de Baltimore par ses talens dramatiques, vient de changer de nom. Elle s’est mariée lundi dernier à Charleston avec M. S…, riche propriétaire de la Caroline du sud. Il paraît qu’une des conditions du mariage est que miss P… ne remontera plus sur le théâtre. Nous sommes heureux de la bonne fortune de miss P…, mais le théâtre fait en sa personne une perte irréparable. »