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Lorsque le cheval sauvage des pampas a longtemps résisté au gaucho qui le premier lui a mis un mors et une selle, il commence à trotter, et semble ainsi reconnaître qu’il a un maître; mais gare au cavalier qui, se fiant à ce premier symptôme d’obéissance, négligerait d’être sur ses gardes, et ne continuerait pas énergiquement l’éducation de sa rude monture ! La situation de notre armée en Algérie, après les premières soumissions, était à peu près semblable à celle du gaucho dont le cheval vient de trotter pour la première fois. Les tribus avaient reconnu l’autorité de la France; mais si l’habitude d’obéir depuis des siècles à des maîtres bien autrement sévères, bien autrement avides, devait leur faire trouver le joug étranger moins odieux qu’à d’autres peuples, cependant la mobilité du caractère arabe, l’aversion du musulman pour le chrétien étaient des causes suffisantes de troubles et d’insurrections. Qu’était-ce donc lorsque Abd-el-Kader était encore là, disposant de forces importantes, craint et respecté de tous, encore obéi de beaucoup, et redoublant d’énergie et d’activité dans le malheur! Sur bien des points, même parmi les tribus qui avaient fait acte de soumission, les hommes « de grande tente, » les chefs de famille, doutant encore de l’issue de la lutte, s’étaient tenus à l’écart et n’avaient député vers nous que leurs cadets ou des hommes obscurs. Aussi fallait-il s’attendre à une prise d’armes prochaine; elle suivit de très près la première pacification. Il fallut protéger les tribus restées fidèles contre les agressions des insoumis, repousser les attaques d’Abd-el-Kader et de ses khalifas, aller les chercher et les combattre jusque dans leurs plus sûrs asiles, au fond des montagnes les plus escarpées ou sur les plateaux du désert, en un mot achever la conquête et l’affermir, car on ne scinde pas la domination d’un pays. Aussi les troupes restaient-elles constamment en marche et sous les armes. Le maréchal Bugeaud, préoccupé à bon droit de terminer avant tout la lutte contre Abd-el-Kader, cédant aussi aux justes représentations du chef de corps qui se plaignait de voir son régiment entièrement disséminé, fit revenir à Alger le bataillon de zouaves qui, depuis près d’un an, était dans la province de l’est. Peut-être aussi le maréchal regardait-il la tâche du commandant de la province de Constantine comme plus facile qu’elle ne l’était réellement, et cependant le bataillon qui revenait à Alger avait soutenu un combat fort vif près de Ghelma, et y avait même perdu son chef.

La guerre continuait donc sans relâche. Les zouaves furent représentés par un ou deux de leurs bataillons dans la plupart des actions importantes des campagnes de 1843 et 1844 : combats acharnés contre les Kabyles, longues marches dans le désert, charges de cavalerie repoussées; au Jurjura, dans l’Ouarsenis, chez les Beni-Menasser, à la prise de la Smalah, dans les beaux combats livrés