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Après un hiver pénible consacré à rétablir un peu de sécurité dans notre territoire, à en chasser l’ennemi, à dégager et à ravitailler nos places, l’armée, considérablement renforcée, envahit à son tour le vrai pays arabe, celui qu’occupaient les tribus, où Abd-el-Kader commandait en maître. Le duc d’Orléans était à la tête de la première division; les zouaves en faisaient partie. Au mois de juin 1840, trois des principales bases d’opération de l’ennemi lui avaient été enlevées; nos troupes occupaient Cherchell, Medeah et Miliana. Nous ne saurions raconter ici tous les combats livrés durant cette sanglante campagne, dans la Mitidja, au col de Mouzaïa, au pied du Chenouan, dans la vallée du Chéliff, sur l’Ouamri, au Gontas; chaque jour marqué par un engagement, chaque pouce de terrain disputé; la cavalerie de toutes les tribus des provinces d’Alger et d’Oran, soutenue et contenue par les rouges[1] de l’émir, inondant la plaine; chaque passage de montagne défendu par l’infanterie régulière et par des milliers de Kabyles. Les zouaves ne manquèrent pas une course, pas un combat, et toutes les fois qu’il y avait une position à enlever, un effort à faire, les. notes retentissantes de leur marche bien connue se mêlaient aux sons entraînans de la charge[2]. Que d’épisodes glorieux ou touchans marquèrent pour eux cette période! Nous citerons au hasard. Un matin, c’était le jour de l’assaut du col, des dépêches arrivent de France; elles annonçaient des promotions. Un jeune sergent de zouaves, Giovanelli, était nommé sous-lieutenant; tout le régiment lui fait fête; le colonel envoie son sac aux mulets et lui confie une section. Giovanelli, joyeux de faire baptiser son épaulette, saute le premier dans une redoute que défendaient les réguliers, et tombe mort, frappé de plusieurs balles. Un autre

  1. C’était le nom donné par les soldats à la cavalerie régulière d’Abd-el-Kader, entièrement vêtue de rouge.
  2. Quoique les zouaves aient inventé bien des choses en Afrique, ils ne furent cependant pas les premiers à accompagner de leurs clairons la marche de nuit de leurs tambours. La marche de nuit d’un régiment est une certaine batterie de tambour différente pour chaque corps, qui permet aux soldats de retrouver leur drapeau au milieu de la nuit, ou de savoir si un signal donné par les caisses s’adresse à eux ou à un autre corps. La marche de nuit du 2e léger fut la première qui fut mise en musique, et les brillans services de cet intrépide régiment la rendirent bientôt populaire dans l’armée. Ceux qui ont assisté au combat du col de Mouzaïa, en 1840, se rappellent encore aujourd’hui avec émotion le moment où, la colonne du général Duvivier, chargée d’enlever le pic principal, ayant disparu dans le brouillard, on entendit au milieu d’une effroyable fusillade la marche du 2e léger. Le bruit des tambours et clairons qui montait au milieu de la nuée apprenait seul que nul obstacle n’arrêtait nos soldats. Le 2e léger était alors commandé par le colonel Changarnier, et sans faire tort aux zouaves ou aux autres corps, on, peut dire que c’est sur lui que porta le principal effort de la journée. L’exemple du 2e léger fut bientôt suivi de tous les régimens de l’armée d’Afrique. Chacun eut sa marche, qui devint comme une espèce d’air national du corps, et que l’on mettait quelque orgueil à faire sonner dans les momens les plus périlleux.