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Le soir, je me rendis au théâtre avec ma femme. J’avais déjà remarqué le soir précédent la beauté de la jeune dame ; je la remarquai mieux ce soir-là. Elle était en vérité très belle, et George était tellement amoureux, qu’il commit quelques légères inadvertances. Il la suivait des yeux lorsque son rôle exigeait qu’il s’adressât aux autres acteurs, et toute sa contenance enfin trahissait l’influence qu’elle avait conquise sur lui. Un observateur judicieux aurait aussi pu remarquer dans les yeux de la belle dame que George ne lui était pas indifférent ; mais le mot coquette était écrit sur ses traits aussi lisiblement que s’il y eût été gravé.

Je vis George plusieurs fois pendant son séjour à New-York, et toujours il fit tomber la conversation sur miss P… Elle troublait son imagination à un degré incroyable. Je fus présenté à miss P…, et je m’aperçus bientôt que George avait raison dans ce qu’il m’avait dit d’elle. Je ne pus cependant m’étonner de l’idolâtrie de George, car elle était singulièrement belle, et semblait prendre un plaisir tout particulier à l’embarrasser dans ses filets. La troupe alla dans le sud et y séjourna six mois. J’appris son retour à New-York par les journaux, et je me présentai chez George Harley. Je ne pus le voir, il était indisposé ; mais le jour même je reçus un billet de lui. « Mon cher James, m’écrivait-il, je suis mal, beaucoup plus mal qu’on ne le croit. Venez me voir ce soir. Je ne puis jouer ; elle jouera. Si vous pouvez me trouver un expédient capable de me donner de la force pour une heure ou deux, portez-le-moi, je vous prie. »

Je me rendis chez lui une heure plus tôt que l’heure indiquée dans son billet. Je le trouvai étendu sur un sofa. Dès qu’il me vit, il me tendit la main et me donna une faible étreinte. — Pouvez-vous me procurer le moyen d’aller au théâtre ce soir ? me dit-il aussitôt. Docteur, il faut que je voie Clara ce soir, ou je deviendrai fou, fou ! Elle n’est pas venue me voir depuis que je suis malade. Je ne suis pas bien mal, après tout, n’est-ce pas ? Mon imagination m’abuse peut-être. Voyez, je puis marcher. Et il essaya de se lever, mais retomba sans force sur le sofa. — Oui, ajouta-t-il tristement, je suis faible, très faible ; mais, mon cher ami, donnez-moi quelque chose qui puisse me permettre d’aller au foyer ce soir.

En ce moment, un domestique entra avec un verre de vin qu’il plaça sur une table près du sofa, à portée du malade, qui étendit sa main tremblante pour le saisir.

— George Harley, êtes-vous fou ? dis-je en lui retirant le verre. Voulez-vous vous tuer ? Vous avez déjà tous les symptômes de la fièvre cérébrale. Si vous buvez ce vin, je ne vous réponds pas des conséquences.

— Fou ! s’écria-t-il. Oh ! assurément je suis fou. Tue-moi, vin !