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née une nouvelle crise qui arrive à peine à son terme. Au-delà du Rhin, la Prusse en est encore à savoir quelles seront ses relations, soit avec l’Autriche, soit avec les puissances occidentales. L’attitude décidée de la Sardaigne laissait suffisamment pressentir une rupture avec la Russie, que le cabinet de Pétersbourg vient de proclamer, et les récriminations de M. de Nesselrode contre ce qu’il appelle l’ingratitude du Piémont ne nous semblent prouver qu’une chose : c’est que, quand elle soutient les droits et les intérêts d’un pays, la Russie imagine acquérir un titre perpétuel à sa soumission et à sa complicité. Il n’est point jusqu’à la Belgique où la crise de l’Europe n’ait eu son retentissement, et n’ait soulevé des discussions parlementaires dont l’opportunité est assez douteuse, mais qui rentrent dans l’ordre général des événemens actuels, justement parce qu’elles se rattachent à cette grande question des neutralités. C’est aujourd’hui enfin divulguer le secret de tout le monde que de mettre au nombre des éventualités de la situation présente le départ possible de l’empereur pour la Crimée. À vrai dire, de tous les faits propres à caractériser le moment où nous sommes, celui-ci ne serait point à coup sûr le moins grave, et il dominerait naturellement tous les autres, s’il s’accomplissait.

Il ne peut être donné à personne, on le comprend, de dire que ce départ se réalisera ou qu’il ne se réalisera point, d’autant plus que les circonstances sont vraisemblablement de nature à exercer ici quelque influence. Que la pensée soit venue au chef de l’état d’aller fortifier de sa présence cette intrépide armée, aussi ferme contre le choc de l’ennemi que contre les privations et les rigueurs du climat, rien n’est plus naturel évidemment, comme aussi il est tout simple que ce projet ait dû être pesé au double point de vue de l’état de la guerre en Crimée et des conjonctures générales où se trouve l’Europe. Or quel est l’état de la guerre devant Sébastopol ? S’il a pu y avoir quelque lenteur facile à expliquer dans cette campagne si glorieusement commencée, si laborieusement continuée, tout indique aujourd’hui que l’heure de l’action approche, et que nos soldats touchent au moment de tenter un dernier, un héroïque effort. Abondamment approvisionnée, accrue de tous les renforts qui ont été envoyés en Orient, notre armée, en attendant de reprendre les hostilités, a pu poursuivre ses travaux. Le voyage récent du général Niel en Crimée n’a pu que donner une plus vive impulsion aux opérations du siège. Des batteries nouvelles ont été élevées, les points vulnérables de l’ennemi ont été reconnus. La place va être enlacée de nos travaux, comme on l’a dit, et nos soldats, conflans dans leurs chefs et dans leur propre héroïsme, sont prêts à briser les derniers obstacles. Les Russes chercheront-ils à détourner cette attaque en livrant une nouvelle bataille ? Ils le pourront évidemment, et cela est assez probable même, car ils ont à leur tête un chef vigoureux, qui n’est ni un général ni un amira], mais qui est un homme d’action. L’empereur Nicolas avait bien choisi le prince Menchikof pour engager cette lutte par sa hauteur à Constantinople, et pour la soutenir par son énergie ; mais le prince Menchikof n’a pu faire que son armée n’ait été deux fois battue, qu’elle n’ait souffert beaucoup plus encore que les armées alliées. Quand on énumère les forces immenses que le tsar aurait envoyées en Crimée, il ne resterait qu’une difficulté, si ces forces étaient réellement là où