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l’expansion d’une riche nature triomphait des obstacles. Voici ce qu’écrivait à ce sujet un observateur très attentif et très expérimenté : «Que la réforme des lois, indispensable en Hongrie, s’effectue, et ce pays deviendra un des plus beaux et des plus riches de la terre. Son mouvement d’ascension est tel que, malgré les causes qui s’y opposent, il y a une grande progression dans la valeur de toutes choses. Telle fortune possédée il y a vingt ans par un seul et qui se trouve partagée entre trois enfans, après avoir fourni aux dots considérables de plusieurs filles, donne à chacun des trois fils un revenu égal à celui qu’avait primitivement le père. On n’entrevoit pas où cette richesse s’arrêtera[1]. »

Qu’une terre aussi richement dotée restât étrangère aux progrès modernes, cela était ridicule et honteux : on avait fini par le sentir en Autriche autant et plus qu’en Hongrie. L’aristocratie magyare comptait beaucoup d’hommes assez éclairés pour comprendre qu’un pays sans impôts ne peut avoir ni voies de communication ni établissemens d’utilité générale, que les privilèges féodaux étouffaient toute émulation, et qu’à tout considérer les seigneurs avaient peut-être plus à gagner qu’à perdre au sacrifice de leurs anciennes immunités. Même avant 1840, la motion de faire concourir la noblesse aux charges publiques avait pu être développée sans trop d’opposition dans quelques assemblées provinciales. Certains patriotes hongrois avaient eu aussi l’idée malencontreuse de susciter une industrie nationale, en s’astreignant à l’emploi exclusif des produits indigènes, et en sollicitant des droits protecteurs équivalant à la prohibition contre les principaux produits des manufactures étrangères. Ils étaient ainsi parvenus à faire confectionner assez maladroitement dans une douzaine de petites fabriques du drap, du sucre, de la bougie, des produits chimiques[2]. Nous mentionnons ce fait pour constater en passant l’impuissance du régime protecteur. L’industrie ne surgit que là où existe une population ayant des aptitudes industrielles, des capitaux et une liberté d’action suffisante. La protection ne crée pas le mouvement; elle le monopolise au profit d’un petit nombre et au détriment de la multitude.

Les hommes d’état de l’Autriche avaient mieux jugé la situation[3]. Ils sentaient que l’abolition des entraves féodales, la mobilisation de la propriété et l’affranchissement du cultivateur étaient les conditions essentielles du progrès, que la Hongrie devait débuter par l’exploitation de ses richesses territoriales, et qu’il y avait

  1. Voyage du duc de Raguse, fait en 1834, publié en 1887, tome Ier, p. 40.
  2. Documens sur le Commerce extérieur (Autriche, n° 5, p. 150).
  3. Dès 1843, nous avons exposé les idées qui aboutissent aujourd’hui, dans un article intitulé Politique financière de l’Autriche, livraison du 1er septembre.